Ce pays, la France, ne va pas bien : voilà une phrase qu'on entend de plus en plus souvent. Le populisme fait recette, qu'il soit d'extrême droite ou se donne des allures de gauche. A l'école républicaine, l'ascenseur social est cassé. Le modèle d'intégration à la française ne fonctionne pas et les exclus sont nombreux, désespérés, en révolte. Les revendications identitaires et les affrontements entre communautés ethniques et religieuses se multiplient. Les banlieues ont flambé, flambent, vont flamber. Même dans les milieux censément favorisés, les jeunes cherchent en vain du travail et beaucoup ne savent pas où est leur place, leur espace, leur avenir.
Lire un roman sur ce sujet ? Décourageant, non ? Sauf si l'auteur a su trouver le ton, le rythme, le souffle, pour ne pas faire le constat sinistre d'une société mal en point, mais entraîner son lecteur dans une dérive poétique entre rap et slam, qui secoue les ignorants, les bien-pensants, les aveuglés et les aveugles. Cet auteur, Jean-Eric Boulin, a 28 ans et publie son premier roman, Supplément au roman national.
Son projet est clair, il le dit dès ses « avertissements » : « Ce récit continuera dans la pornographie sociale, jusqu'à la littérature. » « Ce récit propagera la haine jusqu'à la concorde. » Il ne craint pas une certaine emphase. Pas plus qu'il ne craint de rappeler des événements désastreux. Richard Durn en mars 2002 tuant, lors d'un conseil municipal à Nanterre, plusieurs élus. Ou, sept ans avant, la mort de Khaled Kelkal. « Le premier terroriste beur a été abattu (...) au pied d'un arrêt de bus, au sortir d'un combat douteux. Vous ne vous en souvenez pas. Il n'y avait pourtant pas de précédent à cette odyssée française. »
Kelkal et Durn ne sont pas sans importance, en miroir des deux principaux personnages du roman. Kamel Barek, le beur qui « a un temps couru la course à l'intégration ». Et l'a perdue. Résultat : délinquance et islamisme. Quant à Yann Guillois, 27 ans, « des années d'études d'histoire l'ont mené (...) au RMI ». Pourtant, il est « blanc » - « les guillemets ne tiendront pas longtemps ». C'est un exclu. Il a peur des femmes. Il se masturbe beaucoup. Quel avenir ? Réveiller le sens du politique ? Il le voudrait. Sinon, « le mal que la société lui a fait, il le rendra au centuple ». Comme Richard Durn...
Un troisième personnage s'appelle François Hollande. On s'étonne un peu du portrait qu'en fait Boulin - on avait de bien meilleures cibles à lui proposer, les sondages lui fournissaient tout ce qu'il fallait -, mais, à bien le lire, et à le relire à la lumière de tout le livre, il est peut-être plus subtil qu'il n'y paraît.
Comme le rap, comme le slam, ce Supplément au roman natio nal est parfois un peu bavard. Mais on est emporté quand même dans cet affrontement entre « invisibles » et « apparents » qui a remplacé la lutte des classes, on tient la cadence, comme Boulin la tient, jusqu'à ses prédictions pour mai 2007. Une révolte pour « libérer la parole » ? Tout juste trente-neuf ans après Mai-68 ? Certes, on pourra « crever les journalistes du Monde, les énarques, les pugnaces, les sociologues, les têtes gourmées, les adeptes du pacte républicain, à la laborieuse perfectibilité sociale, qui croient à la patience, à la méritocratie... ». Pourtant, « Sous les pavés, 2007 » ne serait certainement pas « sous les pavés la plage ». Mais s'il fallait choisir un slogan de 68 auquel répond cet emballant premier roman, ce serait sûrement : « Soyez réalistes, demandez l'impossible ».
JOSYANE SAVIGNEAU
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