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[Maman, ne me laisse pas m'endormir | Juliette Boudre]
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apo



Sexe: Sexe: Masculin
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Localisation: Ile-de-France
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Posté: Dim 07 Jan 2024 17:07
MessageSujet du message: [Maman, ne me laisse pas m'endormir | Juliette Boudre]
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Une mère fait la chronique de l'addiction toxicomaniaque jusqu'au décès par surdose médicamenteuse de son fils adolescent. S'ouvrant sur la reconstitution d'une page de journal par la plume de Joseph, datée du 28 décembre 2016, où est anticipée sa mort imminente, à l'âge de 18 ans, la chronique se poursuit contée par la narratrice, chaque entrée étant rigoureusement datée telle une anamnèse médicale, à partir du 27 mars 2015, lorsque un comportement suspect concernant la prise d’anxiolytiques du jeune homme est décelé. On constate donc un parcours particulièrement bref mais intense de dépendance, d'autant plus que les 21 mois en question sont ponctués de plusieurs traitements de sevrage et d'un période de 8 mois d'apparente abstinence.
Une lecture à peine attentive nous en apprend au moins autant à partir du texte que des non-dits de l'autrice ; cependant, plus que par ce que l'on apprend, on est surtout touché par la profondeur de la détresse émotionnelle de cette mère et de son sentiment d'impuissance, malgré ce qui apparaît comme sa disponibilité pratiquement illimitée aussi bien de temps que de ressources financières, familiales et affectives, circonstance particulièrement rare bien sûr.
Du côté de ce que la narratrice exprime, on peut retenir d'abord la désinvolture coupable avec laquelle les benzodiazépines sont prescrites par les soignants, même à un adolescent intelligent et manipulateur qui n'a même pas besoin de dissimuler sa toxicomanie. Les « médocs » sont partout instantanément accessibles, même dans les centres de désintoxication ; les mises en garde et autres recommandations des parents ne sont généralement pas entendues par les professionnels de santé, surtout dès lors que les patients franchissent le seuil de la majorité. Est confirmée aussi la vérité bien connue que le sevrage n'est pas une question bio-chimique, et qu'il ne peut être imposé sans l'adhésion de l'addicté sans que ce dernier ne retombe dans sa consommation avec une insouciance liée à son rapport intime à la prise de risques, une substance pouvant par ailleurs être aussitôt remplacée par une autre. Le récit de la mère apparaît pour cette raison comme une inutile course-poursuite entre mère et fils, faite de contrôles et d'interdictions, d'une part, de fugues et de demandes d'attention de l'autre, mais surtout d'incompréhensions constantes...
Du côté des non-dits, l'on est d'abord frappé par l'irréalité de la phrase servant de titre : en effet, aucun appel n'est adressé explicitement à la maman dans la forme citée – elle l'est à l'identique à une ex-amoureuse, ancienne héroïnomane : « 21h37 – Tara, parle-moi, ne me laisse pas m'endormir. » (p. 14). Deuxièmement, les épisodes de prise de risque sont toujours quasi exposés par Joseph à sa mère, qui accourt aussitôt. Cette dernière, pourtant apparemment si présente et disponible ne semble jamais prendre la temps d'un dialogue approfondi sur les raisons du comportement de Joseph ni sur son malaise existentiel. Il est bien question tardivement d'une thérapie familiale, qui semble être la seule cure relativement bénéfique, mais elle a requis un cadre formel et est sans doute intervenue trop tard. Pourtant, la narratrice semble être consciente d'une forte hérédité addictive du garçon : Fred, le père de Joseph, qui est toujours impliqué dans chaque étape du récit est lui-même en cure de désintoxication alcoolique ; la propre mère de la narratrice ayant également eu un passé d'alcoolisme. La narratrice, quant à elle, ne semble jamais se questionner sur la question. Troisièmement, un rôle fondamental dans le parcours du jeune semble occupé par sa scolarité dans de sévères internats britanniques ; la solution à la conflictualité de l'adolescent avec son beau-père, Paul, dont ne sont mis en exergue que son indéfectible soutien et son rôle éducatif irréprochable, réside pour elle dans cette tension entre l'éloignement du fils (à l'étranger) et les voyages très fréquents de l'un et des autres pour qu'ils se rejoignent : à l'évidence cette solution convient très mal au garçon et en tout cas elle ne fait jamais l'objet d'un accord négocié. Plus globalement, le dialogue entre mère et fils est complètement absent dans cet ouvrage : la seule cit. que j'ai retenue se rapporte justement au cas unique où Joseph semble s'ouvrir, et il s'avère à la fois tronqué, et bientôt « oublié » par lui. Ce personnage est donc réduit au silence ou au mensonge caricatural et énervant.
À noter enfin l'entrée conclusive du livre, qui représente une sonnette d'alarme très opportunément tirée devant les ravages des médicaments légalement prescrits mais à l'usage abusivement détourné, notamment en cocktail : benzodiazépines-opioïdes, dont particulièrement le Fentanyl. « Entre 2014 et 2016, les overdoses mortelles de fentanyl y [aux États-Unis] ont augmenté de 540%, avec 20.100 décès en 2016, en faisant la première cause de mortalité parmi les 66.000 décès recensés dus à l'usage de drogues ; 6 décès par overdose sur 10 sont dus aux opiacés. » (pp. 194-195). Ces chiffres sont d'ailleurs en augmentation, me semble-t-il.

.
Cit. :


« Nous repartons. Il est de plus en plus fatigué. Il me dit que ça lui a fait du bien de me parler, de me dire la vérité. Il me dit qu'il le regrettera sûrement, mais que ça n'a pas d'importance.
Il est assis sur le siège passager, les yeux mi-clos. Il me dit qu'il a peur, qu'il ne sait pas comment se débarrasser de tout ça, que c'est plus fort que lui, qu'il n'y arrive pas. Une larme coule sur son visage, je tends ma main pour lui caresser la joue.
Je me gare, il sort de la voiture tant bien que mal, je fais le tour, il se blottit dans mes bras.
- Je suis là, chéri, je vais trouver une solution, on va y arriver. Je sais que c'est dur, je suis heureuse que tu parles sans retenue. C'est comme ça que démarre la voie de la guérison. Quitter le déni, c'est le premier pas. Je t'aime, ça va aller, mon ange.
[…]
- Maman, je voudrais rester seul avec le médecin.
- Tu m'as tout dit, chéri, je peux rester près de toi.
- Non, maman, pas tout... S'il te plaît, me dit-il avec une voix remplie de honte et de tristesse. » (pp. 155-156, 157)

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Re: [Maman, ne me laisse pas m'endormir | Juliette Boudre]
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Swann




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Messages: 2600


Posté: Jeu 11 Jan 2024 18:04
MessageSujet du message: Re: [Maman, ne me laisse pas m'endormir | Juliette Boudre]
Répondre en citant

Cette présentation est terrifiante. Elle touche à nos limites parentales, jusqu'où peut-on aider, prétendre aider ?... ne peut-on qu'accompagner ? aide-t-on mieux de ne pas (tout) savoir ?
En tant qu'enseignante, j'ai parfois été très en colère que certains cadres nous laissent ignorer des choses abominables (une mère inculpée d'assassinat du père : et si j'avais fait étudier tranquillement Thérèse Desqueyroux ?).
« apo » a écrit:

- Maman, je voudrais rester seul avec le médecin.
- Tu m'as tout dit, chéri, je peux rester près de toi.
- Non, maman, pas tout... S'il te plaît, me dit-il avec une voix remplie de honte et de tristesse. » (pp. 155-156, 157)

Une maman m'a dit un jour qu'elle s'était autorisée à lire le journal intime de son adolescente de fille et qu'elle avait été choquée. Je me suis retenue de lui sortir un cruel et approximatif "Bien fait, la punition se trouve dans l'acte lui-même" ; je me suis contentée de lui dire qu'il y avait des raisons à ce que nos enfants ne nous confient pas tout.
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