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[La couvade ou le père bouleversé | Roberte Laporal]
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Posté: Sam 16 Sep 2023 6:04
MessageSujet du message: [La couvade ou le père bouleversé | Roberte Laporal]
Répondre en citant

Par « couvade » l'on entend deux phénomènes bien distincts, que l'autrice regroupe ici après les avoir étudiés séparément : le syndrome de la couvade, phénomène psychosomatique, cette étrange apparition, dans une proportion avérée de conjoints d'une femme enceinte, des mêmes symptômes de la grossesse présents chez elle, y compris les nausées et la dilatation abdominale ; les rituels de la couvade, phénomènes anthropologiques attestés auprès d'un très grand nombre de sociétés traditionnelles (au point que l'autrice n'hésite pas à parler d'universalité), dont les futurs pères font l'objet – le plus célèbre et drôle (/cruel) étant le rite du père qui remplace la mère au lit après l'accouchement et feint d'en souffrir les conséquences tout en en recevant les hommages alors que la parturiente reprend tout le travail...
Dans le premier chap., « Le père bouleversé », qui a été le plus instructif pour moi, sont étudiées les possibles répercussions que l'annonce de la grossesse peut avoir sur le psychisme de l'homme, aussi bien en termes psychologiques que neurochimiques, soit comme augmentation de la violence et actuation de stratégies de défense face au stress, soit comme « adaptation au besoin primaire de reproduction ». Il apparaît que des métamorphoses hormonales très significatives peuvent avoir lieu lors de l'entrée en paternité dans les deux cas, mais que rien ne prédétermine a priori l'issue des hypothèses opposées. Plus spécifiquement, dans le cas où prédominent la violence et le stress, dénommé « résignation acquise » (« learned helplessness » qu'il serait peut-être plus adapté de traduire : « impuissance acquise ») caractérisé par le retrait, le déni ou l'évitement de la paternité, se manifestent des stratégies de gestion du stress (« théorie des 3F » de B. Liebengerg, cf. cit. 3) et l'on observe une réduction du niveau de cortisol (Philippe Davezies) ; inversement dans le cas du surgissement de l'empathie et de la « sympathie » avec la conjointe enceinte, se développeront des formes de mimétisme (« coping » et sans doute aussi « copying »!), dites « grossesse miroir » ou « grossesse sympathique », où l'on observe une baisse de la testostérone et du cortisol, une augmentation de la prolactine et même la présence détectable d’œstradiol, soit des modifications hormonales féminisantes chez le futur père qui expliquent le syndrome de la couvade et préparent l'individu à un « schéma naturel de fournisseur de soins » et à un « schéma psychologique de pourvoyeur de soins » après la naissance de l'enfant (cf. fig. 1 p. 67). Voici pour la neurochimie et la psychologie de la couvade.
Dans le chap. 2, « La couvade, contexte et origines » est traité l'aspect anthropologique. Après le discours sur l'universalité du phénomène, sont abordés en premier lieu certains récits originels, parmi lesquels le Petit Chaperon rouge et le récit biblique ; puis relatées exhaustivement les théories du rituel de la couvade (la plus célèbre étant celle de B. Bettelheim, la première celle de T. Reik, cf. cit. 4, sans oublier G. Devereux...) et est enfin suggérée très succinctement une dérivation ancestrale de ces rituels à partir du mythe de la déesse mère des sociétés pré-patriarcales. Le court chap. 3, « Le mythe de la contamination », contient la propre théorie des rituels par l'autrice, selon laquelle ils dériveraient tous de la croyance que la femme enceinte « contamine » son conjoint, jusqu'à après la naissance de l'enfant, et que les sociétés prendraient des dispositions pour se prémunir contre cette contamination, avant de pouvoir réintégrer l'homme et la femme néo-parents dans leurs ensembles genrés respectifs.
Le long chap. 4, « La couvade : décryptage » constitue le développement et la démonstration de cette théorie, dans lequel les rites de couvade sont répartis entre le stade préliminaire – prénatal – le stade liminaire – l'accouchement – et le stade postliminaire – période postnatale jusqu'à la réintégration : dans cette partie est notamment traitée la question de l'importance de la transmission des émotions pour l'enfant.
Enfin le chap. 5, « Le père premier disparu » est plutôt historique. Partant du constat de la disparition des rituels de la couvade dans la modernité, jusqu'à sa toute nouvelle réapparition par le phénomène du « nouveau père », disparition qui donnerait à voir le modèle intemporel d'un père froid, distant et sévère (voire indifférent) suggéré l'essor du patriarcat, l'autrice prend le contre-pied de cette idée reçue pour démontrer avec force références au célèbre volume collectif de Delumeau-Roche, _Histoire des pères et de la paternité_ (1990) (lu et annoté récemment), que lu père médiéval était encore tendre et paternant, et supposant donc à l'inverse que c'est le « nouveau père » qui est en vérité le père intemporel, le « père premier » provisoirement effacé et nié par le patriarcat le plus virulent qui lui interdit jusqu'au bercement de son enfant...
La thèse générale de cet essai est en effet d'ordre... prophylactique. Le développement de la couvade est considéré comme une opportunité bienfaisante pour l'enfant et pour la famille, car elle prédispose le néo-père à un engagement dans le soin de sa progéniture dans le cadre de la saine triade père-mère-enfant. Dépassant les méfaits de l'opposition entre les genres et du père absent ou démissionnaire, elle lui permet de prendre sa place auprès de son bébé pour finalement assumer son rôle dans la société. De façon mystérieuse, les sociétés traditionnelles posséderaient une conscience de ces bienfaits et se seraient souciés, grâce aux rites, à la fois d'encourager voire de déclencher la temporaire féminisation du néo-père quitte à organiser ensuite symboliquement le retour dans les fonctions typiques de son genre une fois son équilibre hormonal rétabli. Une vision somme toute rousseauiste de la sagesse des sociétés traditionnelles qui prélude et accompagne l’avènement souhaité du « nouveau père » dans la nôtre...



Cit. :


1. « Mais si entre frères, sœurs ou proches une réelle affection, avec des soins appropriés, peut lier des aînés et des plus jeunes, comment justifier que chez ces mêmes jeunes hommes devenus pères ce comportement tendre et protecteur en soit venu à disparaître ? Pourquoi ne seraient-ils plus capables d'avoir un profond attachement pour leurs enfants ? Pourquoi ne sauraient-ils plus prendre soin de leur progéniture, comme lorsqu'ils le faisaient avec leurs proches quand ils étaient enfants, mettant en exergue des qualités d'homme paternant ? Celles d'un homme capable d'avoir les mêmes gestes qu'une mère pour réconforter, rassurer et prendre soin d'un enfant. Je demeure persuadée qu'il y avait un malentendu, une incompréhension en suspens parmi nous, êtres dits "civilisés", dans la façon que nous avions de percevoir l'éducation d'un enfant par son père. » (p. 10)

2. « Vivre en advenant à soi, au plus proche de la personne que l'on est, se révèle être ce qu'il y a de plus difficile à gérer, même si c'est l'unique obligation que nous ayons sur cette terre. Donner la vie, cela pourrait être le fait de donner les outils nécessaires à ce "bien vivre", non pas matériellement mais dans une capacité à réguler son vécu, à s'adapter, à rebondir, à trouver des solutions et à aimer. » (p. 30)

3. « Car dans ce temps qu'est l'accès à la paternité, le père a deux choix inconscients.
Soit il accompagne la grossesse de la mère par empathie, par sympathie, par adhésion aux divers phénomènes psychiques et physiologiques. Le père contient son angoisse à l'intérieur de son corps, faisant de celui-ci le révélateur de tensions psychiques, de stress. On parle alors du syndrome de la couvade, de symptômes de la couvade, en tant qu'exposition ou démonstration symbolisée et corporelle des élaborations mentales liées à l'accès à la paternité.
Soit le père tourne son angoisse vers l'extérieur, la projetant hors de son corps. On parle alors des 3F ou du "Fight, Flight, Fear", avec une exposition, une démonstration de son angoisse à l'extérieur du corps. » (pp. 50-51)

4. « Le travail de Théodore Reik, fondateur de l'anthropologie psychanalytique, apporte des éléments sut la perception de la couvade à partir de son ouvrage le plus connu, _Le rituel : psychanalyse des rites religieux_. Reik postule que le rituel de la couvade a trois objectifs :
- il s'agirait de détourner les mauvais esprits en "imitant" la parturiente à proximité. On crée un leurre protecteur. […]
- la démonstration du lien corporel étroit entre parents biologiques et progéniture ;
- un phénomène de "sympathie" du père avec la parturiente, par une sorte d'opération de "transfert de souffrance", supposée soulager cette dernière, ceci dans un contexte plus général de conception magique des liens étroits d'influence entre les membres du groupe. » (p. 110)

5. « Notre machine à penser moderne n'avait jamais jugé utile, jusqu'à il y a peu, de s'interroger sur la place du père dans la grossesse, alors qu'avant la mise en place des maternités à la fin du XIXe siècle, les pères étaient très souvent présents auprès de leur femme au moment de l'accouchement. Leur disparition du champ de la grossesse et de l'éducation les a exclus d'une majorité de recherches portant sur la grossesse, dans les différentes disciplines étudiées à ce jour, dont la prévention.
Pourtant, la couvade de rituel et de syndrome fait appel à une connaissance implicite des sociétés traditionnelles, impliquée dans des mécanismes physiologiques, neurobiologiques et hormonaux qui induisent les comportements sociaux, les relations interpersonnelles et le fonctionnement cognitif. Il semble avoir existé une perception par ces peuplades d'un apprentissage par le biais du rituel, qui devait favoriser, faciliter le raisonnement, la mémorisation, la prise de décision, les fonctions exécutives, le surgissement et l'intégration des émotions. » (p. 118)

6. « Entre le moment où le bébé est annoncé et pendant les quelques semaines, mois ou années qui suivent sa naissance, le rituel de la couvade servant à préparer le jeune père à sa fonction de père émotionnellement impliqué dans la vie de son enfant semble avoir été universellement répandu. Dans certaines cultures, on peut clairement parler de mesures coercitives visant à anticiper l'arrivée comme le bien-être du bébé et de sa maman, dans l'intérêt de la famille et de la communauté. Ces mesures diverses sont biochimiques, artistiques, spirituelles, violentes, symboliques, et ont différents objectifs autour de la restauration ou du maintien de l'homéostasie au sein de la cellule familiale. Plus spécifiquement, ces mesures démontrent une excellente connaissance du fonctionnement psychique, émotionnel, mais aussi neuroendocrinien et neurochimique, même si effectivement les données acquises par nos ancêtres, à la suite de longues observations, ne mentionnaient pas le système neuroendocrinien comme nous le connaissons aujourd'hui. » (pp. 141-142)

7. « Les rites autorisent la survenue de l'adhésion, voire de la soumission du futur père au bouleversement hormonal et psychique qui l'étreint, afin de permettre la mise en place de la triade père-mère-enfant. Ce qui est notoire, c'est l'importance de ce rituel universellement répandu, portant atteinte à l'intégrité culturelle et psychosociale du statut de l'homme viril du futur père afin de lui permettre d'établir le plus sûrement possible un lien avec son bébé […].
Pour nos sociétés industrialisées, la capacité à comprendre des coutumes ou des civilisations qui donnaient une telle importance à l'équilibre des enfants et à la cellule familiale est un cheminement abrupt. En effet, nos sociétés modernes ont évolué vers une construction psychosociale des sexes particulièrement forte, imposée dans une dichotomie oppositionnelle de la fonction maternante/paternante et du genre. Dichotomie oppositionnelle parce que doublement opposée : le femme est opposée à l'homme, la maternité à la virilité. » (pp. 196-197)

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