C'est mon premier livre d'Annie Ernaux ; je suis conquis ; mais qu'en dire ? Dans un style superbe,épuré, (peu d'adjectifs et d'adverbes), Annie Ernaux nous jette à la figure 67 ans d'Histoire ; histoires personelles, histoire impersonelle, l'histoire de nous tous à travers les évènements du siècle (la guerre d'Algérie, mai 68, l'arrivée de la gauche au pouvoir, le triomphe de la mondialisation...); Ce livre elle le portait en elle depuis 20 ans. Laissons lui la parole.
"La forme de son livre (Annie ne dit jamais JE, mais ELLE ou ON), ne peut donc surgir que d'une immersion dans les images de sa mémoire pour détailler les signes spécifiques de l'époque, l'année,plus ou moins certaine,dans laquelle elles se situent-les raccorder de proche en proche à d'autres,s'efforcer de réentendre les paroles des gens, les commentaires sur les évenements et les objets, prélévés dans la masse des discours flottants, cette rumeur qui apporte sans relâche les formulations incessantes de ce que nous sommes et devons être,penser,croire,craindre,espérer."
Au fil du récit (d'un seul jet,sans chapitre), c'est à une véritable dissolution du MOI que nous assistons ; dissolution dans le grand tout de "l 'Histoire". Chaque évenement de la vie de la narratrice est replacé dans le continuum des évenements; Photos récurrentes à différentes époques pour scander le défilement implacable du temps. En fait nous pourrions tous réaliser ce qu'a construit Annie Ernaux (le talent en moins certainement...) ; prendre nos photos d'enfance, ressasser nos souvenirs,nos aigreurs,et les scotcher sur les mois, les années... Une Recherche du temps perdu à la petite semaine....
Ce livre, que j'ai beaucoup aimé (5 étoiles !), m'a quand même laissé un terrible sentiment de mélancholie ; Annie Ernaux ne se fait plus d'illusion sur le devenir de notre monde et son constat désabusé assombrit nos humeurs.Exemple.
"Les lieux ou s'exposaient la marchandise étaient de plus en plus grands,colorés,méticuleusement néttoyés,contrastant avec la désolation des stations de métro,la Poste et les lycées publics,renaissant chaque matin dans la splendeur et l'abondance du premier jour de l'Eden.A raison d'un pot par jour, un an n'aurait pas suffi à essayer toutes les sortes de yaourts et desserts lactés. Il y avait des dépilatoires différents pour les aisselles masculines et féminines, des protèges-strings,des lingettes,des"recettes créatives" et des "petites bouchées rôties" pour les chats,divisés en chats adultes,jeunes,séniors,d'appartement.
Rien du corps humain, de ses fonctions, n'échappait à la prévoyance des industriels.L'imagination commerciale était sans bornes.Elle annexait à son profit tous les languages,écologique,psychologique,se parait d'humanisme et de justice sociale, nous enjoignait de "lutter tous ensemble contre la vie chère", prescrivait: "faites vous plaisir", "faites des affaires". Elle ordonnait la célébration des fêtes traditionelles, Noël et Saint Valentin,accompagnait le ramadan.Elle était une morale,une philosophie, la forme incontestée de nos éxistences. LA VIE. LA VRAIE. AUCHAN. "
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