Logo Agora

 AccueilAccueil   Votre bibliothèqueVotre bibliothèque   Ajouter un livreAjouter un livre   FAQFAQ   RechercherRechercher   ForumsForums 
 MembresMembres   GroupesGroupes   ProfilProfil   Messages privésMessages privés   ConnexionConnexion 
    Répondre au sujet L'agora des livres Index du Forum » Essai/Document/Pratique    
[De l'inhumanité de la religion | Raoul Vaneigem]
Auteur    Message
apo



Sexe: Sexe: Masculin
Inscrit le: 23 Aoû 2007
Messages: 2031
Localisation: Ile-de-France
Âge: 53 Poissons


Posté: Jeu 17 Juil 2025 21:25
MessageSujet du message: [De l'inhumanité de la religion | Raoul Vaneigem]
Répondre en citant

Dans cet essai extraordinaire, Raoul Vaneigem relie le surgissement des religions, telles que nous les connaissons, à l'essor de l'économie agraire lors de la révolution du Néolithique. Selon cette démarche matérialiste, il envisage la période antérieure caractérisée par la cueillette et la chasse épisodique, d'après la perspective de Marshall Sahlins, de façon optimiste sinon idyllique du point de vue de l'épanouissement de l'homme en équilibre avec son corps, ses besoins et ses désirs, et imagine pour lui une forme de spiritualité pré-religieuse, qu'il nomme « religio », comme un sentiment d'union symbiotique avec l'ensemble de l'univers rappelant l'animisme et une certaine pensée chamanique (cf. cit. 2). Par opposition, l'apparition de l'homo economicus, avec l'exploitation des ressources naturelles et celle de l'individu par le travail, est représentée même sous forme mythique dans l'épopée de Gilgamesh ainsi que dans le récit biblique de l'expulsion de l'Éden ou dans l'ouverture de la boîte de Pandore. Les principaux griefs de l'auteur contre les religions consistent dans la thèse qu'elles ont formé le support idéologique justifiant une telle métamorphose économique, notamment par l'instauration d'une structure institutionnelle fondée sur une classe guerrière et une classe sacerdotale dominant des travailleurs aliénés et apeurés. Une telle idéologie dite « antiphysis » a dénaturé et déshumanisé l'être humain (cf. cit 1), ouvrant la voie à sa dévotion à un « Dieu des conquêtes » et surtout à un « Dieu du sacrifice » qui a provoqué d'innombrables drames (cf. cit. 3, 5, 6).
Cette approche matérialiste permet à l'auteur de démontrer que les évolutions successives du système économique, notamment avec le capitalisme mercantile – et la Réforme protestante –, puis avec le triomphe de la bourgeoisie – et les Lumières et la Révolution française, ensuite avec l'industrialisation de masse – et les tentatives d'éradication religieuse des totalitarismes nazi et stalinien – n'ont pas atteint profondément les religions, mais, tout en les transformant ou les contraignant à s'adapter, se sont plutôt servi de leurs mécanismes pour atteindre leurs propres but en passant par le renforcement de l’État (cf. cit. 4, 7, 8, 9). D'ailleurs, avec une grande clairvoyance – pour un ouvrage paru en 2000 – Vaneigem anticipe l'apparition d'un néocapitalisme « écologique » et soucieux de redonner de la valeur d'usage à la marchandise par-delà le « stade parasitaire » du capitalisme financier, et il prévoit qu'il en surgira de nouvelles sectes conformes à ses besoins idéologiques renouvelés (cf. cit. 10).
La conclusion ne pouvait que plaider « Pour un dépassement de la religion » (cf. cit. 11) par un vitalisme que nous connaissons chez l'auteur, passant par l'abandon du capitalisme et du travail. Dans cet ouvrage, ces thèmes proprement politiques ne sont pas abordés, naturellement, mais l'on se forme parfaitement une idée a contrario des bienfaits d'une humanité libérée du fléau des religions, au bout d'une argumentation serrée qui aborde avec véhémence quelques millénaires d'aliénation, s'appuyant également sur de très belles citations dont le texte est parsemé, tirées d'auteurs (par ex. Montaigne, William Blake, même Joseph De Maistre !) dont je ne me doutait pas qu'ils avaient exprimé par moments une si forte aversion contre la ou les religions.



Cit. :


1. « Bien que, selon l'heureuse expression de Prévert, mes amis soient tout autant que moi "intacts de Dieu", je suis moins assuré qu'il ne traîne en nous – stratifiée par des siècles d'abrutissement et d'obscurantisme – l'une ou l'autre inclination au renoncement, au sacrifice, à la culpabilité, à la mortification secrète, bref à une façon de cultiver l'absence de vie qui, récusée à haute voix et néanmoins secrètement reçue, n'est jamais loin du culte de la charogne, autrement dit de la religion.
J'ai pensé qu'il n'était pas inutile de traquer jusque dans les plis de notre conscience ces germes morbides de l'Esprit d'où s'engendre le ciel des dieux et des idées. » (pp. 13-14)

2. « Dans la mesure où il a existé à l'époque prénéolithique une 'religio', ce fut une relation unissant dans leur diversité le minéral, le végétal, l'animal, et ces hominiens découvrant peu à peu à travers le corps et sa conscience la faculté de modifier leur environnement. Non pas à proprement parler une religion, mais une relation unitaire entre toutes les manifestations de la vie, une compréhension analogique omniprésente, une identité du microcosme et du macrocosme : de ce que est en haut et de ce qui est en bas, de ce qui est extérieur et de ce qui est intérieur.
Le sentiment de ne faire qu'un avec un milieu dispensant ses bienfaits à qui savait les recueillir et les améliorer conviait par ailleurs à une perception analogique des êtres et des choses, à une relation osmotique qui a pu prêter aux pierres, aux arbres, aux bêtes, aux lieux une sensibilité dont il était loisible de s'attirer ou de s'aliéner les faveurs, selon la manière accommodante ou maladroitement hostile de l'aborder.
Le merveilleux n'est pas le mystère sacré, il est à la fois évidence et révélation des accords qui se tressent entre la totalité du vivant et ses innombrables manifestations particulières. Il est la puissance originelle du poète Orphée qui, pratiquant l'art subtil de l'harmonie, fait prévaloir sur la mort et sur une nature abandonnée à sa prolifération chaotique l'ordre souverain de l'humain réglant pour le bonheur des sens la grande symphonie de la vie. » (p. 38)

3. « Ainsi [par la révolution néolithique] se brise la solidarité des communautés primitives ; chacun est arraché à soi-même, le plus grand nombre est dépouillé du produit de son travail au profit d'un petit nombre lui-même privé des jouissances auxquelles il aurait pu prétendre.
S'approprier, c'est exproprier les autres et s'exproprier de la jouissance des êtres et des choses. Ainsi s'enracine dans les frontières de la cité-État le mépris de soi et de ce qui n'est pas soi. Le mélange de peur, de haine et d'incompréhension ressenti envers la nature atteint pareillement les êtres qui lui demeurent proches : la femme, l'enfant, l'animal, le végétal.
L'homme économisé – l'homo economicus – est amené à faire l'économie de ce qui subsiste en lui de féminin, d'enfantin, d'animal, de vie. C'est le triomphe absurde du mâle crucifié sur l'arbre mort de la marchandise et qui fait de son supplice le chemin du devoir et la voie du salut.
Qu'il soit collectif ou privé, l'acte d'appropriation qui violente la nature en la transformant en objet n'est pas seulement la forme spiritualisée de l'instinct prédateur propre au règne animal, il aboutit – parce que dans le même temps l'esprit refoule l'animalité en tant que liberté d'assouvissement libidinal – à une guerre menée par chacun à la fois contre les autres et contre lui-même. Et cette guerre est la guerre sainte de toute religion, car elle fonde son unité fictive sur l'homme déchiré, affaibli, éparpillé, appelant du fond de son désert, "ex deserto clamans".
Le mythe cimente la société agraire dans sa réalité mensongère. La religion agit à la façon d'un rempart protecteur et oppressant qui réduirait aux dimensions de son enceinte les limites de la perception du monde. "Ein Festburg ist unser Gott !" Notre Dieu nous est une citadelle !
Dès les siècles où le travail géré par la sphère du profit et du pouvoir interdit la jouissance de soi et du monde, la religion sacralise cet interdit car c'est par lui que les dieux font régner le malheur et s'arrogent le pouvoir de l'adoucir ; c'est par lui qu'ils règlent la damnation et le salut, qu'ils pèsent les âmes, reçoivent le sacrifice du "roi des semailles", du nouveau-né, de l'agneau, de l'eucharistie.
Tel est le fondement de "l'antiphysis", de l'antinature inhérante à toutes les religions sans exception, à commencer par les cultes orgiaques et dionysiaques qui, sous couvert d'honorer la Nature, la perçoivent comme un chaos proliférant et autodestructeur et la divinisent avec des rites de mise à mort d'une singulière cruauté. » (pp. 59-60)

4. « Combien n'a-t-on pas vu de nations conchier Dieu et ses prêtres pour revêtir aussitôt leurs tyrans d'oripeaux divins exhumés des latrines du passé ?
N'est-ce pas sous l'athéisme du Troisième Reich et des empires staliniens que la rigueur des dogmes, alliée à la plus parfaite des Inquisitions, a le mieux célébré les fastes de l'orthodoxie ancestrale en écrasant l'hérésie et en fanatisant les foules dans un grand luxe de parades processionnelles, d'icônes gouvernementales, d'autodafés, d'in pace et de procès spectaculaires ?
Comment pourrait-on en finir avec la religion en la combattant avec les principes qui la régénèrent ? Et qui la régénèrent parce qu'ils l'ont fait naître ?
L'abolition des Dieux restera un leurre tant que la société des hommes n'aura pas mis un terme à l'économie d'exploitation et à la marchandise qui d'un être et d'un objet fait une valeur vénale. » (p. 66)

5. « Parce que le mandat céleste dont se revendique l'organisation intellectuelle du travail manuel scinde artificiellement le corps vivant et conscient en un principe spirituel dominant et une matérialité dominée, il s'est perpétué dans l'existence de l'homme économisé un malaise que la religion et sa contestation philosophique ont voulu attribuer à quelque faiblesse ontologique, comme si 'l'homme en soi' comportait une manière de vice de fabrication.
Quelle commodité pour l'oppression et l'ordre hiérarchique que d'inscrire dans l'essence de l'homme une propension à sécréter son infortune ! Et quelle fosse d'aisances que le fatalisme qui badigeonne de toutes les déjections théologico-idéologiques le mécanique trinité des Parques, dévidant, filant et coupant le fil d'une destinée inéluctable !
L'universalité de la pensée prétendument humaine n'est jamais sortie de cette nuit et de ce brouillard qui accablent et torturent l'homme à merci sans qu'il lui soit loisible de rien changer puisque le mal est inhérent à sa "nature". » (pp. 80-81)

6. « Haine du corps, haine de la femme, haine de l'enfant, haine de la bête, de la plante, de la terre, tel est l'enseignement que les religions ont toujours propagé sous la férule d'une économie qui réduit la vie à la survie, la création à la production, la féminité à la reproduction de l'espèce et le vivant à un mécanisme.
La misogynie est inhérente à l'ensemble des religions, et ce seul trait suffirait à dater de l'apparition du pouvoir patriarcal leur naissance institutionnelle.
Lilith, Ève, Pandora sont accusées d'avoir par leur esprit maléfique vérolé l'Univers. Avatar de la Sagesse hébraïque et de la Sophia grecque, la Marie des chrétiens, qui exalte à la fois la virginité et la maternité, a pendant des siècles condamné la femme à ne pas jouir ou à jouir dans la honte et la culpabilité. Elle a exercé sur des milliers de générations sa fonction d'exciseuse mentale. Tertullien surenchérit sur le Juif chrétien Saül, dit Paul de Tarse, qui enjoint à la femme de se taire : "Femme, tu es la porte du Diable ; c'est toi qui, la première, as touché à l'arbre et déserté la loi de Dieu […] C'est à cause de toi que le fils de Dieu même a dû mourir ! Tu devrais toujours t'en aller en deuil et en haillons, offrant aux regards tes yeux pleins de larmes de repentir pour faire oublier que tu as perdu le genre humain."
L'islam ajoute encore à l'élégance judéo-chrétienne : "Vos femmes sont votre champ de labour", dit le Coran ; ou encore : "Les hommes sont supérieurs aux femmes à cause des qualités par lesquelles Dieu a élevé ceux-là au-dessus de celles-ci, et parce que les hommes emploient leurs biens pour doter les femmes."
La répugnance que la conscience éclairée commence à éprouver – en Europe tout au moins – à l'endroit des pouvoirs traditionnels et de l'argument d'autorité prête aujourd'hui au bouddhisme une manière de satisfecit. Il prône, dit-on à l'envi, la non-violence, la compassion, le respect de la vie animale, une certaine douceur. Le sort malheureux du Tibet opprimé par l'impérialisme chinois et son capitalisme d’État bureaucratique doit-il effacer de la mémoire la misère du peuple sous le pouvoir théocratique des lamaseries et les conditions sociales moyenâgeuses qui se sont perpétuées jusqu'au milieu du XXe siècle ? » (pp. 111-112)

7. « Quand l’Église catholique, apostolique et romaine, apparue au IVe siècle, réitère la condamnation du péché, c'est pour proposer aux fidèles d'acquitter la taxe de rachat qui les rendra immaculés.
L'universalité de la faute va de pair avec les modalités de paiement qui l'absolvent, selon un système lucratif dont la garantie d'efficacité tient au caractère foncièrement mauvais de la nature et à l'incapacité de l'homme de ne pas succomber à ses tentations. Non seulement l’Église cautionne, avec le blanc-seing du mandat céleste, la culpabilité inhérente à l'échange, mais elle réussit à en capitaliser les revenus par le truchement commercial des indulgences et de la confession.
Le catholicisme a su tirer le meilleur parti de l'expansion économique de Rome en véhiculant aux quatre coins de l'Empire sa pacotille dogmatique mêlée dans la même charretée aux marchandises profanes. Ne va-t-il pas jusqu'à préfigurer la future consommation de masse quand il immacule celui qui, ayant payé pour un péché, retombe dans le stupre par droit de 'libre arbitre' et retourne acquitter l'impôt du pardon à la caisse de son supermarché ecclésial ? Le catholicisme a été la première officine publicitaire à vendre le paradis à tempérament. » (pp. 124-125)

8. « Le triomphe du commerce brise le monopole de la religion en brisant la structure fermée de la collectivité paysanne. Après la tornade salutaire de 1789, la religion finira par n'être plus qu'une forme servant d'emballage aux idéologies, un élan charismatique récupéré par la politique, une sensation d'"être en Dieu" que l'on nomme enthousiasme et qui nourrit aisément le fanatisme des foules.
[…]
Partout où le libre-échange se propage, il dissout la religion dans l'indifférence. La production industrielle en avait brisé la puissance, la reléguant au rang d'idéologie. L'économie de consommation, qui ruine les grandes idéologies politiques, ne lui consent plus guère d'autre crédit que les momeries folkloriques des rites de passage – naissance, mariage, mort – qui depuis lors en assurent principalement la promotion publicitaire.
Cependant, tout se passe comme si, en se dégonflant, les idéologies du grégarisme politique exhalaient en remugles la religiosité qu'elles avaient inhalée : une eschatologie, un sens du sacré, un prophétisme, un mythe unitaire, un dogme dont la vérité réclame contre les opposants et leurs mensonges le cordon sanitaire et la protection barbelée des camps de rachat et d'expiation.
[…] Il ne suffit que de voir à quel point la démocratie parlementaire excelle à sortir de son tiroir le spectre des tyrannies les plus odieuses à la seule fin d'offrir un certificat de vertu à sa propre corruption et à ses ukases économiques.
Quand les États laïcs exigent des citoyens l'obéissance que l’Église attend de ses fidèles, ils ne font que substituer aux institutions religieuses l'appareil de la raison d’État. » (pp. 139-141)

9. « Ce n'est pas la joie de vivre – cette plénitude du vivant qu'expriment la jouissance et sa conscience d'un désirable affinement – qui incite la philosophie à briser le joug clérical, à dénoncer le mensonge du mythe, à traîner les Dieux dans la dérision, à combattre l'obscurantisme. C'est l'idée que l'homme n'a pas besoin de Dieu pour édifier son paradis et son enfer, c'est l'opinion, issue du dynamisme artisanal et commercial, que le vrai Démiurge est l'Homme. Mythe auréolé du souffle épique de la tragédie luciférienne, si ce n'est que le héros prométhéen n'est pas l'individu concret pétri de désirs, mais son abstraction, sa version humanitaire : l'homme arraché à sa vie par la nécessité d'exploiter et d'être exploité et qui découvre dans son génie technique (dans sa 'tekhnê') la prétention d'égaler les Dieux et d'en révoquer le pouvoir.
Comment la philosophie ne serait-elle pas un monument d'orgueil et de désespérance alors que, dans un même mouvement, le travail change le monde, et, changeant l'homme en travailleur, l'exclut de ce monde en tant qu'être humain ?
Et comment l'ombre vénéneuse de Dieu ne hanterait-elle pas les lumineuses technologies du progrès alors que la formidable puissance de survie se paie par une intolérable impuissance à vivre ?
En condamnant à l'exil de soi, la nécessité économique se substitue à la providentielle et capricieuse tyrannie des Dieux. La survie progresse aux dépens de la vie. D'où ce déséquilibre, ce malaise de l'être, cet échec des Lumières révoquant l'obscurantisme religieux pour se contenter d'éclairer la misère. » (pp. 145-146)

10. « Un néocapitalisme attentif à tirer profit de la reconstruction de la planète, mise à mal par la rentabilité polluante, est en train de naître.
La restauration graduelle de la valeur d'usage, menacée par la dictature de la concentration financière, annonce un new look de la marchandise. Elle jette les bases d'une économie soucieuse d'éthique, de renaturation, de solidarité, d'équité, de vertus résolues à soutenir le projet d'une société moins inhumaine.
Avec leur extraordinaire faculté d'adaptation, les mouvements œcuméniques n'ont pas tardé à flairer dans l'émergence d'un dynamisme marchand, près de rebâtir un monde dévasté par le capitalisme parasitaire, une piste intéressante, un chemin à frayer, une perspective d'avenir dont l'absence les condamnait depuis quelques décennies au ridicule et à la désaffection.
Tandis que le marché de l'humanisme s'apprête à se substituer avec profit à la déshumanisation marchande, la religion propitiatoire du totalitarisme économique amorce sa reconversion. Les cultes écologiques poussent comme des champignons hallucinogènes. Les prétendues divinités de la terre s'y accouplent avec un Dieu d'amour dépouillé de son machisme, et dont le vieux froc patriarcal a été jeté aux orties. L'aspiration au merveilleux, qui nourrit les plus beaux désirs de l'enfance, rameute une fois de plus les charognards de l'au-delà. Les voici qui mêlent à l'odeur des jardins leur credo fétide en un Tout-Puissant. » (pp. 163-164)

11. « Il n'y a qu'une façon d'abandonner au musée des fantasmes cette contrefaçon de l'homme que fut la fantôme divin, c'est de restituer au corps la volonté de vivre que la nécessité de travailler lui rendit si longtemps étrangère.
Seule l'aspiration au vivant permettra le dépassement de la religion, seule sa conscience empêchera d'infliger à la sensibilité humaine cette mutilation – source de toutes les barbaries – dont se repaît le sentiment religieux.
Lorsque le temps nous aura instruits à privilégier la vie sur la survie et l'individu sur l'espèce, nous retrouverons et le projet d'un devenir humain et la religio en son sens inaliénable d'alliance universelle entre toutes les formes du vivant. Le Grand Œuvre ne sera rien d'autre que la volonté de vivre se découvrant dans chaque être humain comme conscience créatrice.
Nous sommes au centre d'une mutation globale dont la plupart n'imaginent pas l'ampleur, tant la perception d'un monde mécanisé depuis des millénaires a borné et dénaturé nos sens. La société s'est si longtemps développée sur un modèle carcéral, qu'à l'instar d'un prisonnier confiné à perpétuité dans sa cellule le regard, l'ouïe, le toucher, l'odorat, le goût, le sentir, la communication phéromonale se sont adaptés à la rationalité d'un univers muré dans sa géométrie et à l'irrationalité d'un infini perçu par les barreaux d'une fenêtre.
La vie est la 'terra incognita' que les siècles à venir auront pour tâche et pour passion d'explorer. La véritable conquête spatiale sera celle de l'espace vital, perçu non comme un territoire de survie mais comme lieu temporel de l'expérience vécue.
Il est temps d'en finir avec l'imposture de tous ceux qui parlent de vie où il n'y a que sa misérable négation, une survie où l'animalité non dépassée travaille, aux dépens de l'homme, à la puissance de l'économie. » (pp. 179-180)

----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur Wikipedia]
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé absent
 
Auteur    Message
Swann




Sexe: Sexe: Féminin
Inscrit le: 19 Juin 2006
Messages: 2677


Posté: Hier, à 17:12
MessageSujet du message:
Répondre en citant

« apo » a écrit:
Dans cet essai extraordinaire, Raoul Vaneigem relie le surgissement des religions, telles que nous les connaissons, à l'essor de l'économie agraire lors de la révolution du Néolithique. Selon cette démarche matérialiste, il envisage la période antérieure caractérisée par la cueillette et la chasse épisodique, d'après la perspective de Marshall Sahlins, de façon optimiste sinon idyllique du point de vue de l'épanouissement de l'homme en équilibre avec son corps, ses besoins et ses désirs, et imagine pour lui une forme de spiritualité pré-religieuse, qu'il nomme « religio », comme un sentiment d'union symbiotique avec l'ensemble de l'univers rappelant l'animisme et une certaine pensée chamanique (cf. cit. 2).

Je crois l'avoir déjà écrit, j'en ai eu l'intuition en découvrant la polysémie du verbe "colo, is, ere, colui, CULTUM", qui veut à la fois dire "habiter, occuper" mais aussi "cultiver", mais également "rendre un culte à". Cela m'a paru éclairer complètement tous les aspects du Néolithique. Intuition confirmée par d'autres lectures et musées.

Il y a quelques constats croisés avec le Traité d'athéologie d'Onfray dans les citations que je lis :
Citation:
Haine du corps, haine de la femme, haine de l'enfant, haine de la bête, de la plante, de la terre, tel est l'enseignement que les religions ont toujours propagé sous la férule d'une économie qui réduit la vie à la survie, la création à la production, la féminité à la reproduction de l'espèce et le vivant à un mécanisme.
La misogynie est inhérente à l'ensemble des religions, et ce seul trait suffirait à dater de l'apparition du pouvoir patriarcal leur naissance institutionnelle.
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur absent
Montrer les messages depuis:   
 
   Répondre au sujet  L'agora des livres Index du Forum » Essai/Document/Pratique
Informations
Page 1 sur 1
 
Sauter vers:  
Powered by phpBB v2 © 2001, 2005 phpBB Group ¦ Theme : Creamy White ¦ Traduction : phpBB-fr.com (modifiée) ¦ Logo : Estelle Favre