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[Joie militante | carla bergman, Nick Montgomery]
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Posté: Jeu 11 Jan 2024 8:44
MessageSujet du message: [Joie militante | carla bergman, Nick Montgomery]
Répondre en citant

Cet ouvrage est destiné d'abord aux personnes qui sont déjà familières avec le militantisme, conscientes et révoltées contre les injustices de ce qui est appelé ici l'Empire (cf. cit. 3), rompues aux réactions violentes des pouvoirs établis et habituées à l'éventualité que leurs luttes ne soient pas couronnées de succès. Ces personnes sont a priori méfiantes vis-à-vis du bonheur et surtout de son injonction (cit. 4), mais en quête de la joie qui provient d'une certaine émancipation conférée par l'activisme. Néanmoins, au sein même des mouvements contestataires, une tendance existe vers le « radicalisme rigide » qui, par excès de zèle et avec condescendance, empêche l'épanouissement de la joie. Précisons d'emblée que le radicalisme rigide a trois causes : l'idéologie héritée du marxisme, la morale héritée du christianisme et l'évaluation incessante héritée du système scolaire.
Avant de parvenir à cette analyse, l'ouvrage se développe de la manière suivante : l'Introduction pose quelques notions fondamentales dont la définition spinoziste de la joie tenant compte de l'affectivité de l'action et du jugement éthique, les conditions d'un militantisme joyeux par le dépassement de la dyade : optimisme/pessimisme, et un discours sur l'anarchisme. Le chap. Ier. « L'Empire, le militantisme, et la joie » se concentre principalement sur l'opposition entre bonheur et joie, pouvoir et joie, Empire et joie : il procède donc par la négation ; le chap. 2, « Amitié, liberté, éthique, affinité » procède à l'inverse, et nous y trouvons développée la conception spinoziste de l'éthique, appliquée à certains mouvements de contestation, dont la résurgence autochtone. Le chap. 3, « La confiance et la responsabilité comme notions communes » poursuit dans la même ligne, en posant certains concepts théoriques, notamment celui de « notions communes », y compris la « convivialité » d'Ivan Illic, toujours en relation avec des luttes (cf. les protestations de la Place Tahrir en Égypte, cit. 7). Le chap. 4, « Ambiances étouffantes, burnout et performance politique » revient sur le radicalisme rigide, tandis que le chap. 5 « Défaire le radicalisme rigide, activer la joie » se penche sur ses trois causes que nous avons anticipées. Enfin, une sorte de conclusion intitulée « Outro », sans donner à proprement parler de solution universelle ni univoque pour atteindre la joie, pose surtout des modalités d'un militantisme fondé sur la notion « d'être en prise » (cit. 10).
La démonstration est rigoureuse – malgré un plan à l'anglo-saxonne pas très structuré – étayée par de nombreuses contributions d'auteurs interviewés ainsi que par des événements contestataires venant surtout d'outre-Atlantique ; le style est toujours très accessible, servi par une traduction vivace et riche, ne reculant devant aucun registre linguistique. L'on s'habitue à une écriture inclusive systématique, mais peut être plus difficilement à la taille de la police typographique, qui est vraiment menue surtout dans le italiques, les notes et les références bibliographiques (placées à la fin de chaque chap., plutôt qu'en fin d'ouvrage, ce qui aurait sans doute facilité leur consultation).



Cit. :


1. [Juliette Rousseau] : « La question des implications affectives des luttes, comme celle de leurs modalités pratiques ou organisationnelles, a de longue date été perçue comme un sujet minoritaire, un sous voire un non-sujet. Il s'agit là d'un biais sexiste : prendre soin des luttes, de nos communautés militantes ou radicales a toujours été une tâche reléguée aux femmes et aux personnes qui ne sont pas des hommes cis. Plus nos luttes merdent et plus nous trimons sur ce front-là, mais puisque ce travail demeure invisible et le plus souvent impensé, tout peut continuer sans jamais changer. Ignoré, il ne peut être observé à l'échelle du temps : structurellement amputé de sa mémoire, il est aussi un éternel recommencement sans histoire. Comme la plupart des tâches perçues comme féministes, penser les luttes à partir de ce qu'elles sont pour les personnes et de ce qu'elles leur font est un travail auquel on confère peu de valeur. Pourtant, si nos luttes ne nous libèrent pas, ne nous donnent pas le pouvoir individuel et collectif qui nous est retiré chaque jour dans ce système, comment peuvent-elles prétendre à le changer ? » (p. 21)

2. « Militantisme est un mot lourd pour certain.e.s, qui évoque des images chargées de virilisme ou presque militaires. Pour nous, le militantisme c'est la combativité associée à une certaine volonté de lutter, mais lutter peut recouvrir beaucoup de choses très différentes. Cela peut être la lutte contre l'oppression et la honte intériorisées ; le soutien déterminé que l'on apporte à un.e ami.e ou un.e aimé.e ; le courage de regarder en face son traumatisme ; un acte anonyme de sabotage ; la détermination à redonner vie à des traditions annihilées ; le fait de fixer des limites ; ou simplement la volonté de prendre des risques. Nous avons choisi de placer la joie et le militantisme ensemble, dans le but de penser les liens entre détermination et amour, résistance et soin, combativité et régénération. » (pp. 34-35)

3. « Un peu partout, les gens sont en train de rétablir, de faire vivre et de réinventer des mondes plus intenses et vivants que la forme de vie servie par l'Empire. Le réseau de contrôle qui exploite et administre le vivant – depuis les formes les plus brutales de domination jusqu'à l'instillation la plus subtile de l'anxiété et de l'isolement – est ce que nous désignons par Empire. Il inclut l'imbrication des systèmes de colonisation de peuplement, de suprémacisme blanc, d’État, de capitalisme, de validisme, d'âgisme, et d'hétéropatriarcat. N'utiliser qu'un seul mot pour englober tout cela est risqué car cela peut aboutir à faire de l'Empire une chose statique, quand c'est en réalité un ensemble complexe de processus. Ces processus privent les personnes de leur pouvoir, de leur créativité, et de leur capacité à se connecter les unes aux autres et à leurs mondes. » (pp. 51-52)

4. « Mais quand le bonheur devient une chose à laquelle on doit s'accrocher à tout prix ou que l'on doit poursuivre parce qu'il donne son sens à la vie, il tend à perdre son potentiel de transformation. Et si nous ne sommes pas heureux.ses – si nous sommes déprimé.e.s, anxieux.ses, sous addiction, ou "fous/folles" – nous sommes chargé.e.s de nous soigner, ou du moins de gérer nos symptômes. Sous l'Empire, l'isolant du bonheur est un anesthésiant.
[…]
À l'inverse du bonheur, donner de la puissance à la joie consiste à s'éloigner des habitudes, réactions et émotions auxquelles nous sommes conditionné.e.s. Bouillonnante dans les brèches de l'Empire, la joie réinvente les gens à travers les luttes contre les formes d'assujettissement. La joie est un processus désubjectivant, une façon de défaire les règles, une intensification de la vie elle-même. C'est un processus qui consiste à prendre vie et à prendre le large. Alors que le bonheur est utilisé comme un anesthésiant abrutissant qui induit de la dépendance, la joie est l'expansion de la capacité des gens à faire et à ressentir de nouvelles choses, de différentes façons qui peuvent briser cette même dépendance. La joie est esthétique, dans un sens ancien, qui date d'avant la séparation de la pensée et des émotions : la capacité accrue à percevoir avec nos sens. » (pp. 62-63)

5. « Quand les paysan.ne.s étaient "libéré.e.s" durant cette période, cela voulait dire qu'ils et elles avaient été expulsé.e.s de leurs terres et coupé.e.s de leurs moyens de subsistance, ainsi rendu.e.s "libres" de vendre leur force de travail dans des usines ou de mourir de faim. Il ne s'agit pas d'une coïncidence si ces conceptions individualisantes de la liberté sont apparues au même moment en Europe que la chasse aux sorcières, la privatisation de la terre (élimination des communs), l'émergence du commerce transatlantique d'esclaves, et la colonisation et le génocide des Amériques. Au moment où le sens de la liberté était arraché de l'amitié et du lien, les connexions vécues entre les peuples et les lieux étaient démembrées. » (p. 91)

6. « L'éthique est l'espace dynamique entre la morale statique et l'intérêt personnel insipide : c'est la capacité à être réactif.ve aux relations qui nous façonnent. Consciemment ou non, nos désirs et nos choix sont les produits de tout ce qui nous affecte. Alors que ce type de pensée et de pratique peut sembler intuitif, il va à l'encontre des tendances dominantes de la pensée et de la morale occidentales, qui aspirent à l'universalisme et à la possibilité de généraliser : celles-ci tendent à déterminer les choses, à nous dicter comment agir, ou à prédire ce qui est plausible. Elles demandent ce que sont les humains et ce qu'ils seront toujours, ce que nous devrions toujours faire, ou ce que nous faisons habituellement (et comment nous pouvons être contrôlé.e.s). A contrario, une éthique spinoziste est en prise avec la singularité et l'ouverture de chaque situation : de quoi sommes-nous capables ici et maintenant, ensemble, à ce moment, à cet endroit, parmi les relations dans lesquelles nous sommes imbriqué.e.s ? » (p. 96)

7. « L'anxiété, l'addiction, et la dépression ne sont pas simplement des secrets à révéler ou des illusions à révoquer. Prêcher contre les horreurs de l'Empire peut alimenter le cynisme ou le détachement ironique plutôt que de défaire l'assujettissement. On peut se sentir contraint.e et diminué.e, et ce malgré notre conscience politique. Les sujet.te.s de l'Empire sont "libres" d'être défiant.e.s et d'avoir du ressentiment vis-à-vis du système dans lequel ils et elles vivent. On peut haïr l'Empire autant que l'on veut, tant que l'on continue de travailler, de payer son loyer et de consommer. Il n'y a pas de correspondance simple entre les intentions et les actions, comme si le problème c'était simplement de trouver quoi faire et de le faire. Défaire l'assujettissement ne revient pas à une forme d'opposition consciente ou à trouver une façon d'être joyeux.se au milieu de la misère. Contester le monopole radical de l'Empire sur la vie veut dire interrompre son emprise affective et infrastructurelle, défaire certains de nos attachements et de nos désirs, et en créer de nouveaux.
[…]
Voici ce qu'un.e participant.e anonyme au soulèvement du Caire, en Égypte, où les personnes ont pris la désormais célèbre place Tahrir, avait à en dire :
"Jamais La Caire n'a été aussi vivant que durant la première place Tahrir. Puisque plus rien ne fonctionnait, chacun prenait soin de ce qui l'entourait. Les gens se chargeaient des ordures, balayaient eux-mêmes le trottoir et parfois même le repeignaient, dessinaient des fresques sur les murs, se souciaient les uns des autres. Même la circulation était devenue miraculeusement fluide, depuis qu'il n'y avait plus d'agents de la circulation. Ce dont nous nous sommes soudain rendu compte, c'est que nous avions été expropriés des gestes les plus simples, ceux qui font que la ville est à nous et que nous lui appartenons. Place Tahrir, les gens arrivaient et spontanément se demandaient à quoi ils pouvaient aider, ils allaient à la cuisine, brancardaient les blessés, préparaient des banderoles, des boucliers, des lance-pierres, discutaient, inventaient des chansons. On s'est rendu compte que l'organisation étatique était en fait la désorganisation maximale, parce qu'elle reposait sur la négation de la faculté humaine de s'organiser. Place Tahrir, personne ne donnait d'ordre. Évidemment que si quelqu'un s'était mis en tête d'organiser tout cela, ce serait immédiatement devenu le chaos." » (pp. 149-152)

8. « En partie inspiré par ses lectures de Spinoza, Friedrich Nietzsche a montré comment la morale chrétienne a sacralisé la docilité et la soumission, faisant de l'absence de pouvoir une marque de béatitude. Son concept de ressentiment pointe du doigt l'alimentation d'une forme ancrée de haine et de peur de l'altérité, et de ses propres désirs, péchés, qui repose sur une morale abrutissante.
Au cours des derniers siècles, la culpabilité et la honte ont traversé une conversion séculière, rejetant l’Église au nom de la superstition, tout en embrassant le ressentiment. Le sujet séculier déteste l’Église mais adore son poison. Les structures affectives du défaut, de la culpabilité, de la peur et du purisme restent intactes. » (p. 216)

9. « Peu de temps après avoir appris à marcher, les enfants sont enfermé.e.s dans les écoles, et soumis.e.s à un contrôle et une évaluation constantes. À l'école, les nouvelles capacités ne peuvent être affirmées que si elles sont conformes aux critères établis par l'instruction, c'est-à-dire que lorsqu'un.e élève a appris une chose en particulier, au bon moment et de la bonne façon. La curiosité et la découverte de liens émergents doivent être écrasées pour pouvoir créer cette conformité, et ceux et celles qui refusent ou résistent sont rapidement classifiées comme des enfants "problématiques", qui ont besoin d'une forme d'enseignement corrective, d'être médicamentées, suivies en thérapie ou punies.
Ceux et celles qui s'en sortent apprennent à intégrer l'évaluation incessante au regard de standards imposés par l'extérieur. En réduisant les vies à ces standards externes, l'école écrase la disposition pour la joie. Les adultes, les parents, et d'autres intervenant.e.s sont chargé.e.s de perpétuer ce processus à l'extérieur de l'école, en apprenant aux enfants à tout catégoriser et mesurer, y compris eux et elles-mêmes. Il y a toujours une personne devant, qui a mieux fait, et de façon plus performante. L'évaluation annule l'immédiateté de la vie, là où nous pouvons sentir le déferlement de la nouveauté, les potentiels, et apprendre en explorant le monde, au gré de nos curiosités.
[…]
Cette tendance à l'évaluation constante et à l'imposition de standards externes s'est infiltrée dans de nombreuses dimensions de la vie sous l'Empire. Elle existe même chez les radicaux.les : ce qui change c'est seulement le type de standards et le mode d'évaluation. Est-ce que c'est radical ? Est-ce que c'est anarchiste ? Est-ce que c'est critique ? Est-ce que c'est révolutionnaire ? Est-ce que c'est anti-oppressif ? Comment est-ce que ça pourrait être récupéré, perverti ou rendu déficient ? Qu'est-ce qui est problématique ? Où sont les manquements ? À quel point est-ce que c'est limité, inefficace et de courte durée ? » (pp. 231-232)

10. « Fondamentalement, cette façon d'être en prise n'est pas une nouvelle forme d'optimisme ou une nouvelle foi en l'idée que les choses vont s'améliorer, mais une dynamique ouverte et dangereuse. Cette capacité à être présent.e, qu'adrienne maree brown appelle "être éveillé.e à ta vraie vie, en temps réel" inclut plus des multiplicités brouillonnes qui nous composent : le trauma, les déclencheurs émotionnels, et la brillance. La joie n'est pas la même chose que l'optimisme. Elle n'est pas heureuse ni ne promet une révolution future. En réalité, être présent.e peut aussi vouloir dire s'ouvrir à la cruauté et à l'autodestruction qu'impliquent certains attachements optimistes.
Une deuxième façon d'être en prise vient avec la capacité à se connecter aux héritages de résistance, de rébellion, et aux luttes du passé. Comme nous l'a expliqué Silvia Federici […], il s'agit de repousser l'amnésie sociale imposée par l'Empire. » (pp. 255-256)

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