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[Le pain des reves | Louis Guilloux]
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apo



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Posté: Dim 21 Aoû 2022 15:35
MessageSujet du message: [Le pain des reves | Louis Guilloux]
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Roman social ? Souvenirs d'enfance, romancés notamment par l'éviction de la figure paternelle, remplacée par celle d'un grand-père tailleur ? Pourtant, le véritable père de Guilloux, héros vénéré de La Maison du peuple, cordonnier et militant socialiste émancipé, n'était pas inconnu des lecteurs : cela induit à écarter en grande partie la qualification d'autobiographie de cette œuvre.
Rédigé « au plus noir de l'Occupation », lorsque l'amertume de la vie publique pousse sans doute à l'introspection intimiste son auteur qui a déjà connu la gloire avec Le Sang noir et la reconnaissance politique – comme secrétaire du premier Congrès mondial des écrivains antifascistes, puis responsable du Secours rouge venu en aide aux réfugiés de l'Allemagne nazie ainsi qu'aux Républicains espagnols – ce roman parle de l'enfance d'un petit garçon au sein d'une famille qui survit au seuil de la misère, la veille de la Première Guerre mondiale. Le père les a abandonnés dans des circonstances qui lui sont incompréhensibles mais qui sont sans doute tragiques, le vieux grand-père, jusqu'à son décès, assume le rôle de nourricier. Puis, une autre figure tutélaire fait apparition : une cousine Zabelle fantasque et caractérielle, accompagnée d'un mari soumis et d'un amant maquereau. Le roman-fleuve se divise en deux parties nommées d'après ces deux personnages, scandées par l'unique événement crucial faisant avancer le récit : la mort du grand-père accompagnée par la réalisation de son étrange prémonition d'une mirobolante ascension sociale de ses descendants. La substance du roman, ce sont donc les formidables descriptions des personnages hauts en couleur qui habitent cet univers de pauvreté, de rêves d'émigration par la mer ou a minima par la montée à Paris, de nostalgie et d'inadaptation déprimée lorsqu'on en revient, en bref, de bizarreries telles qu'elles peuvent apparaître aux yeux d'un enfant à l'imagination féconde. Mais si ce monde est peuplé d'êtres excentriques voire fantastiques, ni la langue ni les réflexions ne sont restituées d'après l'expression d'un enfant : nous ne sommes pas en présence d'un ancêtre de La Vie devant soi (1975) d'Emile Ajar-Romain Gary. Au contraire. Le style est délibérément très construit, ampoulé et même carrément désuet – cf. la scène explicitement molièrienne de la « pluie de pièces » (cit. 2 infra.) - comme aurait pu l'être le ton d'un homme déjà vieux commentant en lieu et place de l'enfant narrateur – alors que l'auteur n'était pas âgé à la parution de l'ouvrage. Par contre, insensiblement, on assiste à la maturation du garçon, qui dans l'excipit s'adresse à son grand-père pour lui signifier qu'il est devenu un homme, sans qu'il y ait eu pourtant d'événement décisif ni d'initiation qui pût l'attester. Peut-être habitués désormais à une forme de récit plus contemporaine, avons-nous perdu la sensibilité aux mouvements imperceptibles de l'âme et sommes-nous plus tributaires d'une action éclatante ou d'un symbole explicite qui vienne scander les périodes de la vie...


Cit. :


1. « À la stupéfaction du quartier, le marteau de Pinçon qu'on croyait enterré avec lui, se réveilla, ce matin-là, et battit comme il avait toujours fait depuis des années, clamant à tous les échos sa joyeuse résurrection. Plus d'un en demeura bouche béante et l'oreille aux aguets. Et certains pensèrent qu'ils devaient rêver encore. Mais le marteau roulait sur la pierre à battre avec tant de vigueur, il répandait partout, avec tant d'empressement, son heureuse nouvelle, que le doute ne fut guère longtemps possible. Et quand le jour parut tout à fait – car ceci se passait en hiver et la Pinçon s'était levée avant l'aube – on vit on vit la Pinçon installée sous sa fenêtre, sur le tabouret de son homme, râpant le cuir, le taillant, battant, clouant la semelle comme si, de sa vie, elle n'eût jamais rien fait d'autre. Et le chardonneret, dans sa cage, chantait. » (p. 16)

2. « Nous les ramassions, nous les ramenions en triomphe.
Ma mère les prenait, les mettait en tas, commençait à les compter, toujours en criant à la merveille. Mais le grand-père restait muet.
Il y avait dans son air quelque chose de si malheureux et de si triste, de si anxieux, que nous cessâmes nos cris, sauf ma mère, qui tendait ses deux mains et disait :
- Encore ! Encore !
Il ne répondit pas.
On aura beau dire : l'homme est désespérément rusé. Plus j'y pense et plus j'admire ce détour génial par où mon grand-père, acculé à livrer son trésor, trouva le moyen d'échapper à la honte du vaincu qui rend les armes, et transforma sa défaite en féerie. Moi, une cassette ? Moi, un trésor ? Vous n'y pensez pas ! C'est quelque lutin caché dans les poutres qui fait pleuvoir sur vous cette rosée...
Et cependant, il nous surveillait du coin de l’œil.
- C'est tout ? demanda ma mère, en le regardant avec malice.
Il ne répondit point encore.
Alors elle entreprit le compte de ce qui devenait sa fortune. Et quand elle eut deux fois compté le petit tas d'argent et de billon, nous sûmes que la cassette du grand-père formait une somme toute ronde : cent francs.
- Cent francs !
- Cent francs ! Reprîmes-nous, tous ensemble.
- C'est bien le compte, père ?
- Non, dit-il, tu ajouteras encore ceci...
Il posa sa main sur la table, bien à plat, et la laissa ainsi un instant. Puis, il l'ôta, découvrit un louis d'or tout brillant, qui, je ne sais pourquoi, m'apparut comme un Enfant Jésus dans sa crèche. » (pp. 118-119)

3. « Quelle folie que de vouloir épiloguer sur l'amour et en dissocier les éléments ! Ce sont des choses qui me font le mieux souvenir de ce que j'ai aimé, des objets, où mon cœur s'est mêlé secrètement, où mon amour s'est gardé, quand même je ne le savais plus. Il y a de la part des objets une sollicitude toute fraternelle pour l'homme négligent... » (p. 166)

4. « Dirais-je que je me plaisais là ? Assurément oui. Certes, le Moco n'était pas un compagnon fort distrayant, mais il se laissait très bien oublier. Qu'il nourrît à l'égard de quiconque des sentiments d'amour ou de haine, cela ne se voyait jamais. Il n'était pas encombrant. Et l'eût-on mille fois dérangé, qu'il se fût borné à changer mille fois de place, à s'asseoir successivement dans mille fauteuils à mesure qu'on l'eût délogé. Mais de protestation jamais. Au fond, le Moco était un doux. » (p. 389)

5. « Que les voiles de l'oubli tombent sur ces misères comme le rideau, enfin, tomba vers les sept heures du soir, la dernière chanson chantée... Moi aussi, j'ai chanté la mienne... Allons dormir. Laissons les gens regagner leurs demeures – et la troupe des joyeux vivants aller célébrer à l'hôtel son premier triomphe. Laissons Gisèle, encore toute secouée de son rire, regagner sa petite boutique enchantée, où bientôt le Musicien viendra la voir. Laissons l'enfance. Désormais, je suis un homme ! Bientôt, j'entrerai au lycée, n'oublie pas cela, ami lecteur. Ai-je gagné ton amitié? » (p. 476)

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