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[Possessions | Julia Kristeva]
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Posté: Mer 22 Avr 2020 21:02
MessageSujet du message: [Possessions | Julia Kristeva]
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Ce polar, qui date de 1996, précède donc Meurtre à Byzance, que j'ai lu il y a plusieurs années ; mais j'y ai retrouvé quelques éléments communs : le commissaire mélomane et dandy Northrop Rilsky, l'État imaginaire et corrompu (sans doute méso-américain) de Santa Barbara, et enfin l'insupportable journaliste franco-santabarbaroise, pseudo-intellectuelle culturo-salonesque, crypto-psy, parisienne, imbue d'elle-même Stéphanie Delacour, qui prend la parole de la narratrice dans de multiples chapitres du récit.
Ce livre n'a rien pour plaire aux amateurs du genre noir : le cadavre étant là, décapité et poignardé dès l'incipit, l'enquête ne commence véritablement que dans la Deuxième partie, quelque 80 p. plus tard. La Première partie est narrée par l'horrible Stéphanie, ce qui accentue l'impression d'avoir affaire à une pénible logorrhée, bête et pleine de suffisance intellectuelle. On a du mal à s'apercevoir qu'on en retient néanmoins quelque chose : outre une iconographie des décapitations picturales et des statues étêtées tirées des œuvres exposées au Louvre et ailleurs..., un magnifique portrait psychologique de la victime, Gloria la traductrice, dont la tête manquante était « l'organe sexuel », Gloria doublement frustrée dans sa vie de femme et surtout de mère d'un enfant handicapé, déficient du langage, qui plus est.
La Deuxième partie peut déplaire aussi, pour deux raisons : le huis clos des interrogatoires est banal, sans rebondissement, et il dévoile assez vite que l'assassinat ne résout pas le problème, ni n'inculpe pas qu'un seul suspect ; en fait, le crime est triple sur le même corps, et la suppression de la vie de la victime, peut-être même involontaire, n'en constitue sans doute pas l'aspect le plus tragique. La deuxième raison est que, si tous les suspects suscitent une pareille répugnance chez le lecteur, celui-ci ne peut pas non plus rehausser son moral par une saine identification avec les deux ni même un seul des détectives : Rilsky et Stéphanie. Tous les personnages de ce roman, la victime, les suspects, les coupables et les détectives sont également odieux et passablement énervants.
La Troisième partie redistribue les cartes en provoquant une confusion supplémentaire quant aux statuts de la victime et des coupables. Là encore, il n'y a pas d'enquête ni de suspense, mais juste du profilage psychologique instillé au lecteur par le truchement d'un certain dégoût pour les personnages. La compréhension du titre, qui ne prend son sens qu'après avoir refermé le livre, relève exactement du même procédé.
Si l'on accepte de juger l'ouvrage selon les deux seuls critères suivants : le bousculement des canons du genre et la vivacité, la vraisemblance, la violence des personnages, le livre est une réussite. Le style, qui varie selon les narrateurs, est âpre, dissonant, dérangeant, très étudié. Si l'on s'attend à autre chose, et particulièrement au bien-être de la lecture, on ferait bien de passer son chemin. Néanmoins, je me suis obstiné et ai déniché un passage intéressant sur le bilinguisme, qui constitue ma 3e cit.


Cit. (on reconnaîtra aisément celles où Stéphanie n'est pas narratrice en la voyant nommée) :

1. « -Les évidences ne sont pas toujours fausses, elles sont seulement inessentielles, fis-je, impertinente mais circonspecte.
- Évidemment, ponctua Rilsky de sa voix mélodieuse, heureux de m'accrocher enfin, car il était foncièrement humaniste. Pauvre Gloria !
Je connaissais des humanistes à Paris. Ils m'expliquaient qu'on devait lutter contre l'Exclusion et que le but de l'existence, après la chute du Mur, était l'Intégration. Ils ne savaient pas très bien à quoi, mais ce dont ils étaient sûrs, c'est qu'il fallait Intégrer et ne pas Exclure. Ils prononçaient "l'Exclusion" avec un air étonné et repu qui donnait à leur amour des hommes une puissance gauche et cependant menaçante. » (p. 22)

2. « Il ne se battait pas contre les moulins à vent de Santa Barbara, et son sens des réalités lui dictait parfois de renoncer à punir. Une esquive qui le faisait passer auprès de Stéphanie pour un étourdi, un faible qui ne décèle pas toute l'ampleur du Mal, un paresseux qui ne milite pas suffisamment pour le dénoncer. […]
En réalité, le véritable paradoxe de Rilsky consistait à vouloir concilier son goût de la justesse ("au sens musical du terme", insistait-il auprès de Stéphanie), lequel était sans concession, et l'impossibilité de l'appliquer dans le brouhaha d'une société qui n'en voulait pas. Il prenait alors le parti des victimes sans misérabilisme, incarnait la loi quand personne n'en était plus capable, mais ne s'exposait ni à l'inaction ni aux représailles des autorités gouvernementales dont nul n'ignorait plus combien elles étaient devenues corruptibles. Un sait fourvoyé chez les voyous, qui savait composer avec leurs combines, quitte à passer pour un gogo, mais à condition de rester juste. » (p. 102)

3. « Renaître dans une autre langue, Stéphanie était prête à l'admettre. Personnellement, elle n'avait ni la même voix ni les mêmes pensées dans ses deux langues, mais il lui semblait que jusqu'à ses seins, son dos, son ventre, ses cuisses, ses mains changeaient eux aussi lorsqu'elle passait du français au santabarbarois. Une sorte de mort suivie d'une résurrection qu'elle s'entraînait à expérimenter lors de chaque passage de la frontière, oubliant une Stéphanie trépassée d'un côté, en faisant revivre une toute neuve de l'autre. Au début, la migrante menait l'existence somnambulique d'une sorte de Frankenstein étourdi : elle faisait tout mais rien ne la touchait, et passait pour plus douée que les autres. Fausse impression, mais qui marchait : elle s'intégrait, comme on dit, se faisait accepter dans le nouveau code, y retrouvait un élément qui devenait son élément ; au point que le masque s'incarnait et qu'une personne vivante la relayait, qui regardait la première Stéphanie de loin, de haut, comme une dépouille – vieille mue de serpent abandonnée. La nouvelle langue pénétrait Stéphanie par l'intelligence ou par l'âme, en tout cas elle venait d'en haut – le professeur Zorine dit qu'elle entre par les couches supérieures du cortex, suit une voie descendante pour exciter à la fin seulement les sens, les organes, le sexe. » (pp. 235-236)

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