Du personnage historique d'Antoine Emmanuel Nsaku Ne Vunda, il ne reste guère que deux œuvres d'art conservées à Rome : un portrait à la Sala dei Corazzieri du Palais du Quirinal, et un buste en marbre dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure. Des péripéties tragiques de cet ambassadeur du roi du Kongo (s'étendant à l'actuel Angola) près le Saint-Siège, embarqué en 1605, passé par le Brésil et l'Espagne après un abordage et une quasi mutinerie par des pirates, et décédé pratiquement lors de son arrivée auprès du pape en 1608, Wilfried N'Sondé fait un roman historique qui est surtout un criant plaidoyer humaniste contre la traite négrière et accessoirement pour un christianisme africain respectueux de la spiritualité préexistante, presque syncrétique avec les croyances ancestrales. Le personnage principal – qui dans le roman est un modeste mais très fervent curé de village, mandé pour une ambassade confidentielle par son souverain taraudé par les remords de sa cupidité et de sa progressive soumission aux marchands esclavagistes européens, alors que dans l'Histoire il est rappelé parfois comme un marquis, parfois comme un prince, et qui fut donc peut-être lui-même très corrompu – est le narrateur à la première personne de presque tout le récit, hormis quelques pages historiques imprimées en italique. Il fait la connaissance des horreurs de l'esclavage et de la traite, et envisage sa mission comme un acte capable de supprimer cette pratique inhumaine, immorale et irréligieuse dès lors que le Saint Père en aura pris conscience. Cependant l'auteur, à travers le regard de son protagoniste ainsi que celui du très important personnage secondaire, dont je ne révélerai rien tant sa présence est essentielle et « complexifiante » dans le roman, adopte une vision très moderne et juste de l'esclavage : d'un part, la traite n'est pas présentée comme le seul fait des colonialistes européens, d'autre part, sous les différentes formes de servage et même de lutte contre les hérésies et religions minoritaires, elle dépasse largement les Noirs et sévit pareillement à large échelle en Europe. On peut affirmer que l'esclavagisme constitue un facteur systémique et fondateur de l'économie de l'époque.
À la lecture d'un roman précédent de N'Sondé, j'avais été déçu par sa prose, et ce n'est que l'intérêt pour le sujet qui m'a poussé vers cette lecture. J'ai bien fait de ne pas m'en tenir à ma première expérience, car je trouve dans ce dernier ouvrage une très remarquable maturation sur au moins trois registres : d'abord conceptuel, pour la raison que j'ai évoqué ; ensuite littéraire, considérant l'intérêt suscité par le personnage secondaire, la capacité de l'auteur de maintenir la tension narrative jusqu'à la fin, malgré un récit linéaire et une chute sans surprise ; enfin proprement stylistique, compte tenu de l'habileté des descriptions, surtout celles des deux traversées atlantiques.
Le protagoniste aurait pu avoir un plus grand relief psychologique, surtout grâce à une mise en scène dialogique avec le personnage secondaire ; celui-ci, et je le regrette beaucoup, étant réduit complètement au silence, ce que ne justifie même pas la fiction du mémoire du début du XVIIe siècle. Les autres personnages, et c'est donc là ma critique principale du roman, sont tous de vrais stéréotypes, en particuliers les Inquisiteurs de Tolède. Cette facilité dessert donc à la fois la valeur littéraire, le message qui nous tient à cœur et enfin la vraisemblance de l'histoire.
Cit. :
« Elle avait commis l'erreur d'oublier que l'esclavage était une gangrène qui nous menaçait tous, sa logique consistant à redéfinir la nature humaine à sa guise, pourvu que l'on puisse faire des êtres humains un commerce rentable. » (p. 143)
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