Le veilleur
« Le diable tout le temps » décidément increvable, découpé en sept parties dûment étiquetées est à l’œuvre au cœur des hommes du 1er roman de Donald Ray Pollock. Les chapitres s’enchâssent dans une chronologie courant sur les années 1940-1950 et dessinent des trajectoires tragiques venant se télescoper en bout de course. Knockemstiff [frappé et raide], bourgade de l’Ohio, est l’épicentre où se rejoignent les parcours estampillés au sceau de Messire Belzébuth. Encore enfant, Arvin Russell est contraint par Willard, son père alcoolique, à prier de toute son âme et dès lors où Willard apprend que sa femme bien-aimée Charlotte est atteinte d’un cancer, les prières redoublent, la clairière se transformant en autel où les animaux morts exposés pourrissent et empuantissent les lieux. Puis face au mal qui gagne, Willard y sacrifient des bêtes afin que sa voix soit mieux entendue de Dieu. Il y a aussi deux jeunes prêcheurs hallucinés, Roy Laferty et son cousin paraplégique Theodore Daniels qui hantent déjà l’église du bourg. Les deux comparses vivent d’expédients et n’hésitent pas à manipuler leur prochain, la terne Helen en faisant les frais. Il y a encore l’avocat Henry Dunlap cocufié à outrance par sa femme qui désire se venger sans oser le formuler clairement à Willard maintenant désespéré et atteint d’un mysticisme sauvage. A cette galerie de personnages hantés peut s’ajouter celle du shérif adjoint Lee Bodecker en passe de prendre du galon et si peu regardant sur la morale. D’ailleurs sa sœur Sandy pourrait venir ternir sa réputation en se prostituant alors que son mari, le gros Carl, photographe pervers, vivant à ses crochets, empoche les pourboires. Le couple part régulièrement en virée et embarque des auto-stoppeurs pour les trucider atrocement. Arrive le prédicateur pédophile Teagardin, véritable catalyseur de toute la poisse ambiante et déclencheur de la vengeance implacable de l’archange Arvin Russell. Depuis toujours les dés étaient pipés mais la dernière salve de mocheté avait entraîné un trop-plein et il fallait bien que d’une façon ou d’une autre justice soit rendue. A quel prix ?
Entre les bourreaux calculateurs, misérables, esseulés et les victimes ternes, naïves, presque consentantes se débattent quelques bonnes âmes, Emma, la mère de Willard, Earskell, Hank le commis du magasin de Maude, Lenna et Arvin. Comme son père, Arvin est un veilleur mais il n’a pas été stupéfié d’horreur par la guerre du Pacifique et ses attentions demeurent désintéressées.
Le roman de Pollock ne peut guère se lâcher passé le premier chapitre. L’écrivain s’approche au plus près de ses personnages et donne à sentir leurs tergiversations, leurs fantasmes et leurs folies, les crédibilisant et les humanisant malgré les horreurs commises comme on respire. La crudité des situations est prise dans un flux entraînant qu’une prose sans pathos galvanise. Dans le suspense s’immisce l’effroi, l’effarement et la folie mais quand toutes les digues et les garde-fous ont sauté, que reste-t-il pour faire danser la vie hormis la gigue du diable ?
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