J'ai eu du mal à entrer dans l’œuvre : Balzac a semblé prendre un malin plaisir à rendre impossible à distinguer les deux sœurs, Marie-Eugénie et Marie-Angélique de Grandville.
L'une a épousé Ferdinand du Tillet, l'autre Félix de Vandenesse, toutes deux pour échapper à une mère complètement obsédée par la religion. Balzac insiste sur la parfaite innocente - et immaturité - des jeunes filles qui vont alors être broyées par leur rencontre avec des émotions un peu fortes, comme Marie-Angélique. A priori "mieux mariée" que sa sœur, utilisée par la vanité d'un mari banquier qui se moque complètement de ce qu'elle souhaite réellement, à la fois plus libre et formatée par un homme qui se croyait plus psychologue, cette dernière finit par s'ennuyer dans un bonheur artificiellement dosé. Dès qu'elle entre en contact avec un "poète", Raoul Nathan, dont Balzac fait un portrait cruel d'homme de Lettres, entretenant une théâtreuse et des ambitions politiques avec un journal endetté, la comtesse de Vandenesse songe qu'elle va enfin vivre quelque chose de passionnant. Raoul, au contact de la pureté de Marie-Angélique, se figure qu'il vit une relation idéale et absolue, tout en acceptant de l'autre main l'aide matérielle de sa maîtresse et concubine, Florine. La plupart des femmes envient la comtesse de son mariage avec Félix de Vandenesse (notamment Lady Dudley, une ex, mais bien d'autres, la belle-sœur Émilie n'est pas très sympa non plus) et sont ravies de deviner son glissement vers l'adultère et un personnage, Raoul, dont personne ne lui rêve de lui ravir les faveurs.
L’auteur appelle donc fille d’Eve une jeune femme tentée dans une vie qui pourrait passer pour un paradis, un lieu complètement sécurisé. Il me semble en revanche, qu’elle ne fait chuter personne. C’est un peu abusif, de la désigner ainsi, n’est-ce pas ? et misogyne : il dit tranquillement que toutes les femmes dans de telles conditions seraient tentées, alors que Marie-Eugénie du Tillet, tenue rudement et malheureuse, elle, ne glisse pas vers l’adultère.
Balzac prévoit une fin bien différente de celle qu'il feint de nous préparer (j'ai tremblé très fort pour le débonnaire Schmuk, mon personnage préféré dans l’œuvre malgré son atroce syndrome de Diogène) et elle a beau être pessimiste à son accoutumée, je la trouve très bien. Si.
Je me suis amusée - maintenant, j'y suis habituée - des courses à la paperasse administrative pouvant perdre ou sauver un personnage, c'est un élément de suspense très intéressant. Plus rare, presque ridicule, une scène de mascarade peu crédible, artificielle, mais qui apporte une rupture de tonalité pittoresque à ce roman qui n’a rien de remarquable par ailleurs.
Citations :
La comtesse de Granville aimait assez ses filles pour en vouloir faire des anges à la façon de Marie Alacoque, mais ses filles auraient préféré une mère moins vertueuse et plus aimable.
- Je ne remettrai jamais les pieds ici, dit-il. Cette marquise de papier mâché me vend son thé trop cher. Elle me trouve amusant ! Je comprends maintenant pourquoi Saint-Just guillotinait tout ce monde-là !
- Il ne t'a pris que quinze pour cent, dit Blondet, tu lui devais des remerciements. A vingt-cinq pour cent on ne les salue plus ; l'usure commence à cinquante pour cent, à ce taux on les méprise.
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