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[Psy pute curé | Antoine Guénin]
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Posté: Aujourd'hui, à 6:08
MessageSujet du message: [Psy pute curé | Antoine Guénin]
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L'auteur, devenu psychologue clinicien après une carrière dans la finance, avoue avoir été mû d'abord par un questionnement sur sa propre pratique professionnelle : les réflexions déontologiques habituellement élaborées en milieu psychothérapique s'appliquent-elles cependant à ces « professionnel.les de la relation intime » que sont le prêtre catholique dans l'acte de la confession (le « sacrement de pénitence et réconciliation » selon sa dénomination officielle) et la travailleuse du sexe indépendante nommée ici « la pute » ? Si les analogies sont bien connues entre le curé et le psy, ainsi que la féminisation massive de leurs usagers à partir du XIXe siècle, symétrique avec le public masculin des prostituées en quête d'un « soulagement pulsionnel » comparable, à quelles conditions et dans quelle mesure en existe-t-il entre psy et pute et surtout entre pute et curé, qui a priori paraissent « culturellement opposés sur l'échelle de la morale » ? Un examen qui se limiterait aux similitudes ne serait que polémique ou ironique et peu crédible, mais en vérité dès lors que sont posées les questions méthodologiques des psychothérapeutes, une comparaison s'avère pertinente : spécifiquement sur les questions de la formation et compétences, du cadre, du transfert et contre-transfert, de la distanciation, des risques et de l'usure professionnels. L'argent, le secret, les mécanismes psychologiques de défense, l'intimité du professionnel, le rapport aux pairs et à l'institution encadrante (l’Église, les sociétés et écoles psychanalytiques, les syndicats des travailleuses du sexe) sont également abordés, chaque fois de manière comparative. Pour chacun de ces sujets, sont convoqués des auteurs venant d'un horizon pluridisciplinaire vaste ainsi que des témoignages des intéressé.es. J'ai eu le plaisir d'y retrouver un certain nombre de noms connus que j'estime énormément, tels Tobie Nathan, Virginie Despentes, Grisélidis Réal, Christophe Dejours (psychologue du travail) ainsi que la référence abondante à la série d'entretiens de célèbres psychanalystes français réalisés par Daniel Friedmann en 1983 puis vingt ans plus tard, contenus dans le coffret de documentaires audiovisuels intitulé _Être psy_ (Éditions Montparnasse, 2009).
Au-delà des aspects particuliers que les spécificités de chacune de ces trois professions peuvent mettre en lumières, il découle de cette comparaison méticuleuse : une problématique générale qui est celle de la prise en charge de la souffrance de l'intime, psychique et sexuelle, souvent en rapport implicite avec les injonctions de genre ; et une analogie profonde : la nécessité que ce soin appelle d'une dialectique délicate entre un certain sentiment amoureux entre le professionnel et l'usager, au sens le plus étendu du terme – entre compassion, humanité et amour transcendantal – et les limites que le cadre impose à un tel sentiment afin que la relation professionnelle soit maintenue, la thérapeutique puisse être efficace et le professionnel protégé de l'épuisement et exonéré du sacrifice de soi.
Ce que l'ouvrage n'aborde pas, en revanche, sinon de manière très indirecte, c'est la question du contexte social et même juridique qui détermine les conditions d'exercice de ces professions : il est évident que, outre la stigmatisation, ce contexte protège ou au contraire met en péril les travailleuses du sexe, et que les tensions entre la modernité individualiste et le capitalisme d'une part et la doctrine ecclésiastique intemporelle du sacerdoce, d'autre part, notamment sur la question du célibat des prêtres, façonnent l'exercice de la mission pastorale. De la même manière, la réflexion sur la manière dont le contexte socio-économique impacte l'exercice des professions psychothérapiques eût pu rejoindre de telles considérations sur les deux autres métiers, et peut-être d'autres analogies auraient-elles émergé.



Table [avec appel des cit.]

Introduction [cit. 1]

1. Quel.le psy ? Quelle pute ? Quel curé ? :

Le psy
La pute
Le curé
Perceptions sociales
Leur statut selon l'INSEE

2. Formation et compétences :

L'école du traumatisme [cit. 2]
Connaissance de soi
De l'influence, dans un cadre [cit. 3]
Savoir agir, pouvoir agir

3. Cadre :

Des lieux à part
Temporalités
Vêtement
Secret
Argent [cit. 4]
Rapport aux pairs et aux institutions

4. Une relation d'amour ? :

Honte et dévoilement [cit. 5]
Du soulagement à la réconciliation
Respect et dignité
Les impasses d'une pratique sans amour
Transfert, contre-transfert, hors transfert
Les résultats pour l'usager
Les résultats pour le professionnel
Un rapport de force ?

5. Bonne distance, contrôle et cloisonnement :

Bonne distance
Rire et humour
Tous acteurs ?
Apprendre à se protéger ?
Rigueur et rigidité
Conséquences à long terme
Cloisonnement et liberté
Plaisirs intimes

6. Les risques du métier :

Violence
Solitude et isolement [cit. 6]
Épuisement [cit. 7]

7. Métiers de marginaux :

Sentiment de marginalité
Stigmatisation, subversion, autonomisation
Servitude volontaire
Frontières sociales
En faire partie, malgré tout ?

Conclusion [cit. 8]

Épilogue



Cit. :


1. « Reformulons l'hypothèse soutenant le parallèle entre certaines fonctions de psy et de pute : les premiers psys ont-ils été le pendant des putes, celles-ci pour les hommes, ceux-là pour les femmes, l'un comme l'autre permettant la décharge – plus que ne le pouvait le soulagement de l'absolution confessionnelle – tout en évitant la culpabilisation, le jugement, voire la pénitence ? Corsetées par les institutions de tous ordres, les femmes ont-elles trouvé, d'abord chez leur confesseur ou directeur de conscience, puis surtout auprès de leur psy, un moyen d'évacuer leur trop-plein pulsionnel ?
Cette asymétrie de genre m'a incité à développer l'intuition selon laquelle les professions de psy, pute et curé ont plus en commun que ce qu'une certaine morale a fait croire. Plus qu'à travers l'histoire, j'ai choisi de les comparer dans leur modernité, avec des catégories actuelles : l'étude des processus de formation, d'acquisition de compétences, le statut socio-professionnel, le rôle de la technique dans la pratique, ou les risques psycho-sociaux. Je me suis appuyé sur les discours tenus par des professionnel.les, par leur voix propre ou par le biais des institutions les représentant (le Strass – Syndicat du travail sexuel – pour les putes, le Vatican pour les curés), et sur les travaux de philosophes, anthropologues, historiens, psys, sociologues... » (pp. 14-15)

2. « Tobie Nathan conclut :
"L'initiation est une contrainte au changement ; une méthode qui se doit de marcher à tous les coups, dont l'issue doit toujours être une métamorphose. Elle consiste d'abord à littéralement traumatiser la personne […]. Puis, une fois que la personne a été traumatisée, [à] ne lui laisser d'autre issue pour survivre que l'affiliation."
Initiation. Traumatisme. Affiliation. Le point commun entre la fabrication des trois types de professionnel.les serait-il de l'ordre de l'initiation ? Celle du curé comporte-t-elle une dimension traumatique ? Quel est l'impact, en particulier, de l'engagement à être célibataire et chaste ? L’Église fabrique des êtres à l'identité spécifique, séparés du reste de la société. En outre, l'ordination engage à vie. Céline Béraud en rappelle le procédé :
"Le sacerdoce est initié par le sacrement de l'ordination, véritable rite d'institution tel que le définit Bourdieu : un <acte de magie sociale> dont l'effet essentiel est de <[...] séparer ceux qui l'ont subi non de ceux qui ne l'ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d'instituer ainsi une différence durable entre ceux que le rite concerne et ceux qu'il ne concerne pas>. L'ordination […] marque l'entrée dans la sphère du sacré."
[…]
La fabrication du professionnel s'accompagne de la puissante imprégnation par des valeurs, dont il est ardu de se départir, qu'il appartienne à telle école psy, qu'il soit prêtre catholique... ou pute ? Virginie Despentes voit dans le viol un élément traumatique à valeur initiatique :
"Le viol fabrique les meilleures putes. Une fois ouvertes par effraction, elles gardent parfois à fleur de peau une flétrissure que les hommes aiment, quelque chose de désespéré et de séduisant. Le viol est souvent initiatique, il taille dans le vif pour faire une femme offerte, qui ne se referme plus jamais tout à fait."
Le parallèle entre les descriptions de Tobie Nathan et de Virginie Despentes est saisissant. Comme la pute, le psy est-il repérable parce qu'il dégage, "à fleur de peau", cette ouverture "qui ne se referme plus jamais tout à fait" ? D'après Tobie Nathan, "une initiation peut se concevoir à la fois comme fracture et installation définitive de la fracture, sorte de blessure ne cicatrisant jamais".
Attention, l'entrée en prostitution n'est pas nécessairement précédée d'un viol, et le viol ne mène pas nécessairement à la prostitution. » (pp. 44, 46)

3. « Accueillir, accepter les faiblesses de ceux qui les sollicitent, ferait partie des points communs principaux entre psy, pute et curé. Pour Sonia Verstappen :
"Il faut être putain ou être au contact de ces hommes qui nous mettent à nu leur âme pour comprendre. C'est une expérience unique et je suis sûre qu'on vit des choses plus intenses qu'un psy parce qu'on a accès au non verbal. […] Ce que j'aime chez mes clients, c'est justement leurs faiblesses, non pas parce que je me sens supérieure mais parce qu'ils m'émeuvent. C'est cette fragilité qu'ils doivent contenir à longueur de temps parce que la société, les femmes, les enfants demandent un homme solide professionnellement, un mari protecteur, un papa fort."
Françoise Gil a également remarqué que "les hommes qui fréquentent les travailleuses du sexe ne viennent pas seulement pour obtenir les satisfactions sexuelles qu'ils désirent avoir, ils viennent aussi se délester du poids des injonctions sociales à se comporter en dominant". Je suis touché, moi aussi, lorsqu'un de ces hommes parvient à s'ouvrir, se mettre à nu dans mon cabinet. J'ajouterais que notre société ne demande plus cela seulement aux hommes. Nombre de patientes ne veulent pas montrer de faiblesses. Exigeantes avec elles-mêmes à l'excès, elles veulent assurer partout, tout le temps, et n'en peuvent plus. » (pp. 80-81)

4. « Même si l'argent n'est pas directement présent dans la confession, considérer la confession comme gratuite me paraît erroné : les fidèles financent leur paroisse ; le curé sait qu'il est rémunéré pour assumer ses diverses fonctions, dont la confession. Alors pourquoi vouloir évacuer le rôle de l'argent dans la relation au curé ? Afin que le pécheur se sente éternellement redevable envers celui qui se sacrifie pour lui ? Serait-ce en raison de la supposée gratuité du service de l’Église que le pénitent devrait s'engager sans compter ? Vu du côté de la croyance, Jésus-Christ, fils de Dieu qui s'est fait chair, s'est sacrifié pour le salut de l'humanité. Cette dette est incommensurable. Les pauvres pécheurs ne pourront jamais être au niveau. En plus de la culpabilité, l'exigence. Ces deux moteurs psychologiques font que, vu du côté du 'business model', cela ne peut que fonctionner. La rétribution de l’Église existe bel et bien.
Le "commerce des indulgences" peut être vu comme celui de la culpabilité, mais il permettait au pécheur de matérialiser cette dernière et d'évacuer son sentiment de dette. Comment se sentirait le patient s'il ne payait pas les séances ? Laurence Bataille affirme à Daniel Friedmann que "c'est excessivement difficile de faire une analyse sans la faire payer. C'est plus facile de la faire en faisant payer parce que ça dégage quand même de toutes les idées de sacrifice, de bonté et de charité, de générosité et de dette". La question n'est pas tant le droit à vendre le travail que la modification de la relation sous l'effet de l'argent. » (pp. 113-114)

5. « Qu'est-ce qui pousse l'usager à solliciter la pute, le curé ou le psy ? Tout porte à croire qu'il le fait de mauvaise grâce. Les raisons mêmes de la sollicitation sont entachées de sentiments peu avouables. La honte au premier plan, au-delà de la culpabilité pouvant résulter de toute transgression. Honte de désirer du sexe, sous prétexte que se serait sale. Honte d'être insuffisant devant les autres, devant soi, devant Dieu. Honte d'avoir besoin de se soulager, de se décharger. Et honte d'avoir à payer pour un service qui pourrait ne pas en être un, puisqu'il semble pouvoir relever de relations humaines non monétisables.
Il y a là source de confusion. Combien affirment que parler avec leur famille ou leurs amis, c'est comme parler à un psy ? Ceux-là n'ont jamais consulté ou, s'ils l'ont fait, ne sont jamais allés au-delà d'une conversation ordinaire, dans laquelle la honte est couramment évitée. Le patient qui ose pousser la porte du cabinet psy fait cette démarche car il souffre, et il a honte de demander de l'aide pour être soulagé de cette souffrance. » (pp. 129-130)

6. « Dans un article intitulé "Prêtres en couple, <amantes clandestines> : le tabou de l’Église", le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel l'assure : "L'ordre de grandeur qui revient souvent, c'est un prêtre sur trois, voire deux prêtes sur trois, qui aurait une relation physique ou amoureuse avec une femme ou un homme." Une telle fréquence atteste du poids du tabou, de la règle imposée aux prêtres, assez similaire à celle imposée aux putes. La différence est que l'institution catholique la prescrit aux premiers, alors que c'est la société dans son ensemble, par le biais de la stigmatisation, qui l'exige des secondes. N'y a-t-il pas une nouvelle source de violence et d'isolement dans le secret demandé aussi bien aux curés qu'aux putes ? Remarquons que ce type de secret semble sans équivalent pour le psy, qui ne s'engage pas à être célibataire ni chaste, et n'est pas stigmatisé par la société lorsqu'il est en couple. Dans le cas d'une relation amoureuse psy-patient.e, il vaut sûrement mieux ne pas l'afficher, mais je ne crois pas que le secret soit autant de mise que pour le prêtre ou la pute. » (p. 226)

7. « À la rencontre de l'individuel et du collectif, les risques du métier sont de même nature pour toutes et tous, mais vécus différemment selon chacun.e. Ces risques peuvent être liés à l'usure, la fatigue, qu'elle soit compassionnelle ou physique. Ils résultent généralement de la multiplicité des rencontres avec l'usager, et conduisent à développer certaines compétences individuelles. Françoise Gil estime "les capacités d'observation, de réflexion et de distanciation indispensables à la pratique régulière et maîtrisée de la prostitution". Ces capacités me paraissent tout aussi incontournables pour le psy et le curé.
Les risques du métier conduisent aussi à la fabrication de stratégies collectives de défense. Elles ont pour fin de pouvoir continuer à exercer son activité. Dans l'acte prostitutionnel, la notion d' 'empowerment' me paraît constituer une tentative de renversement d'attitude face aux risques, dans la mesure où elle vise à transformer les rapports de force. Stéphanie Pryen mentionne sous le terme de "culture somatique" ce qui ressemble fort à une stratégie collective, dans laquelle "le rapport au corps est davantage instrumental, et la 'dureté' et la 'résistance' au mal sont particulièrement valorisées". Je crois que c'est l'inverse dans le champs psy. La stratégie défensive tiendrait plutôt dans la croyance au pouvoir de l'élaboration des propos de ce qui affecte. Elle se formulerait par des mots comme : "C'est par l'acceptation et l'analyse de mes vulnérabilités que j'aurai plus de capacité à aider." La possibilité de cette attitude est sûrement liée à la différence de nature entre les risques encourus par le psy dans la rencontre avec l'usager et ceux que prend la pute.
Appliquer la notion d'idéologie de métier au curé est presque une évidence, tant les règles à respecter relèvent d'un idéal. Mais le curé n'est pas toujours insensible au monde profane. C'est peut-être ce qui à la fois le sauve, lorsqu'il se permet de vivre "comme tout le monde", et le détruit peu à peu, lorsque les règles du jeu capitaliste se surajoutent à l'éthique institutionnelle catholique de notre époque, voire entrent en conflit avec elle. L'ascèse et l'idéologie sacrificielle observées par Céline Béraud relèvent de la longue tradition cléricale et sont compatibles avec la culture de la compétition et de la performance. En revanche, ces mêmes prêtres "aspirent, comme la plupart de leurs contemporains, à une séparation plus stricte entre le temps professionnel et les autres moments de la vie", et avoir des espaces de vie distincts de leur ministère leur permettrait de se prémunir contre l'épuisement. Oui à l'ascèse, au sacrifice, à la performance. Non à l'épuisement. Non à l'abnégation, qui "trouve l'une de ses limites dans l'hédonisme de la société de loisirs". » (pp. 237-238)

8. Exergue de la Conclusion, par Grisélidis Réal : « Nous sommes tous malades du même manque de communication et de liberté d'être. Les maladies ne sont peut-être que la cristallisation des culpabilités et des solitudes : le corps malade appelle au secours pour qu'on l'aime et qu'on le comprenne, et pour qu'on dialogue avec lui. » (p. 257)

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