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[France, terre d'immigration | Pascal Blanchard et alii ...]
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Posté: Hier, à 18:12
MessageSujet du message: [France, terre d'immigration | Pascal Blanchard et alii ...]
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[France, terre d'immigration | Pascal Blanchard et alii (dir.)]

Cet ouvrage collectif de synthèse, tout en étant pluridisciplinaire, constitue essentiellement une somme d'Histoire de la France arabo-orientale, à travers les relations « parfois conflictuelles, parfois fusionnelles, mais jamais rompues » entre les populations française d'un côté et maghrébines, égyptienne, turco-ottomanes (y compris arménienne, kurde, syrio-libanaise) de l'autre, dans la longue durée s'étalant sur treize siècles. Depuis les incursions arabo-andalouses dans le Sud de la France et les relations privilégiées de François Ier et de ses descendants avec l'Empire ottoman jusqu'à la campagne d’Égypte de Napoléon, qui n'était en fait que l'aboutissement d'un rêve colonial né déjà sous Louis XIV, on réfléchit à la circonstance que ces relations ne sauraient se résumer à la colonisation algérienne (et plus brièvement marocaine et tunisienne) et à tout ce qui s'en ensuivit. Au fil des grandes étapes de cette histoire longue et complexe, les attractions et les répulsions s'alternent et elles sont réciproques, alors que la succession des événements politiques à elle seule ne suffit guère à déterminer les perceptions mutuelles qui sont aussi le fruit d'influences culturelles, intellectuelles et artistiques progressant de manière autonome. À de tels phénomènes qui relèvent de l'histoire intellectuelle, cet ouvrage offre une large et opportune attention, qui contribue à étoffer la thèse de la formation, génération après génération, d'un métissage dans la société française avec sa composante arabo-orientale, tantôt applaudi, tantôt craint ou décrié. Au fil du temps, et surtout dans ce premier quart du XXIe siècle, alors que ce métissage s'avère de plus en plus incontestable, paradoxalement c'est la question de la concurrence mémorielle qui semble s'imposer et animer la controverse. Mais la conclusion (exprimée notamment dans la Postface par Benjamin Stora) est que l'historiographie, précisément, n'est pas tenue à conclure par des affirmations péremptoires et définitives : consciente du contexte et des débats qui caractérisent chaque époque singulière, elle laisse ouverte l'écriture de la page suivante...
Ma lecture, facilitée par une prose très fluide et homogène, s'est arrêtée surtout sur les périodes moins récentes (avec un petit regret pour une curiosité personnelle qui n'a été que très superficiellement assouvie, quant aux péripéties des colonies nord-africaines pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment les migrations vers et de la métropole), pour deux raisons : elles m'étaient moins connues et j'ai trouvé insuffisamment « engagée » l'approche des auteurs devant les périodes qui me sont contemporaines – au moins en comparaison avec mes lectures habituelles. Ce dernier point est évidemment un mérite pour un ouvrage d'Histoire, gage d'un effort d'impartialité que l'on suppose avoir inspiré l'ensemble du livre, mais il a un peu déçu mon propre « esprit militant », qui se refuse à considérer presque avec équidistance, par ex. les tenants du « grand remplacement » avec les victimes de l'accusation injurieuse d'« islamo-gauchisme » qui leur est portée.



Table [avec appel des cit.]

Préface [Leïla Slimani]

Introduction [Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Yvan Gastaut, Naïma Yahi] – L'histoire d'une présence si lointaine (Maghreb, Égypte et Orient) :

- L'histoire en France des Arabo-Orientaux
- Une rencontre, malgré plusieurs siècles d'évitements
- Rupture coloniale
- Rupture post-coloniale
- L'entrée dans un nouveau siècle
- Quelles perspectives, en ce premier quart du XXIe siècle ?

Chap. Ier – 718-1797 :

- Histoires croisées
- Premières présences, premiers contacts
- Premiers échanges, premières croisades
- Dernières croisades, premiers écrits
- Premières alliances, premières installations [cit. 1]
- Peurs des migrants, rêve d'ailleurs

Chap. II – 1798-1871 :

- Rêves d'Orient
- Premiers migrants et orientalisme [cit. 2]
- L'Algérie entre dans le destin de la France
- Voyageurs et étudiants [cit. 3]
- Nouvelles visibilités et politique arabe
- L'Orient dans le Tout-Paris
- Le tournant de 1870 : la fin d'une époque

Chap. III – 1872-1913 :

- Premières présences, premières rencontres
- Nouveaux imaginaires coloniaux
- Un monde arabo-oriental reconstitué
- Un Orient entre fascination et répulsion
- Un monde arabo-oriental à Paris
- Les premiers travailleurs immigrés [cit. 4]

Chap. IV – 1914-1918 :

- L'appel aux colonies, l'appel aux travailleurs
- Combattants maghrébins
- Sur le front et en images [cit. 5]
- Blessés et travailleurs
- Une hostilité grandissante [cit. 6]

Chap. V – 1919-1939 :

- Réfugiés, ouvriers, militants
- Le bouleversement migratoire de l'entre-deux-guerres
- Un espace politique et renouvelé de l'immigration
- Surveiller et contrôler
- La gloriole coloniale
- Présences culturelles et métissages [cit. 7]

Chap. VI – 1940-1956 :

- D'une guerre à l'autre
- France occupée et révolution impériale
- Propagande et engagement partisans
- Les Trente Glorieuses : la troisième immigration [cit. 8]
- Immigration de travail et ancrage culturel
- L'engagement politique et syndical

Chap. VII – 1957-1972 :

- Des indépendances à la fin des Trente Glorieuses
- Les « Algériens de métropole »
- Exil sans retour et engagement politique
- L'ère des quotas et des expressions culturelles
- Le temps de bidonvilles
- Mobilisations, revendications et reconnaissance

Chap. VIII – 1973-1982 :

- Le temps des revendications
- La flambée raciste de 1973
- Régulation de l'immigration et nouvelles revendications
- Diplomatie, crise pétrolière et nouvelles vagues
- Une visibilité culturelle et sportive accrue
- Crispation autour de l'islam et intégration des rapatriés
- Nouvelles revendications, nouvelles formes de lutte

Chap. IX – 1983-2000 :

- Nouvelles générations
- « Rengainez, on arrive ! »
- « Beur is Beautiful »
- « La casquette et le foulard » : l'heure de la stigmatisation
- L'avènement des cultures urbaines

Chap. X – 2001-2013 :

- Crispations et cultures partagées
- Une décennie de présences culturelles
- Immigrations et marginalisation
- Français, Arabe, Oriental, Turc et musulman...
- La politique de la France dans le monde arabe
- « Oui, le multiculturalisme est un échec »
- La mémoire au cœur des débats

Chap. XI – 2014-2024 :

- L'ère de l'omniprésence, entre ombre et lumière [cit. 9]
- L'intégration, un concept dépassé...
- Nouveaux flux migratoires et réfugiés
- Terrorisme : la France sous tension
- « Grand remplacement » et racisme
- Banlieue, incivilités, émeutes : crispations identitaires
- Un ancrage politique et citoyen plus affirmé
- Quand les enjeux des pays étrangers s'invitent en France
- La mémoire et l'histoire, sauts et sursauts
- La culture, avant-garde confirmée d'une « France métissée »
- Un XXIe siècle métissé

Postface [Benjamin Stora] [cit. 10]



Cit. :


1. « C'est dans ce cadre [celui du corso en Méditerranée], mais aussi dans celui des enjeux diplomatiques, que s'annonce la crise de 1620. Les violences sont alors d'une brutalité sans pareille à Marseille. Celles-ci éclatent contre les "Turcs" agressés par des habitants et la milice urbaine, faisant suite au massacre d'un équipage de Marseillais par des pirates "barbaresques" commandés par le corsaire d'Alger, Régeb-Reïs. Parmi la cinquantaine de victimes de cette "nuit du 14 mars", on compte des membres d'une ambassade algéroise dirigée par Quenan Agha et Rozan Bey, des galériens musulmans rassemblés en ville pour être "échangés" et quelques marins échoués sur la côte provençale. Ce massacre est tel que l'historien René Pillorget le considère comme le "mouvement populaire le plus meurtrier qui ait [eu] lieu en Provence au XVIIe siècle". Cette crise s'accompagne de l'apparition de nouveaux stéréotypes, selon lesquels, dit Antoine Boudet, le "Turc quelquefois esclave de la parole, est toujours avide et souvent méchant, le Grec est étourdi et fourbe, l'Arménien avare et grossier, le Juif intriguant et sans foi". » (p. 63)

2. « Les liens qui se tissent avec l’Égypte connaissent un moment charnière avec le "rapatriement" en 1801 de nombreux "réfugiés" alliés des Français lors de l'expédition. Comme le souligne l'historien Ian Coller, qui a travaillé en profondeur sur cette "présence arabe", Napoléon Bonaparte s'est attaché, tout au long de ses campagnes militaires, les services de supplétifs égyptiens, de Libanais, de Grecs et de Syriens, de musulmans ou de chrétiens (coptes, melkites ou orthodoxes), bien souvent regroupés en France sous le qualificatif "Orientaux" ou encore, improprement, "Mamelouks". Avec la défaite française, ils n'ont d'autre choix que de suivre l'armée française et de quitter l’Égypte. […]
De nombreuses familles […] s'installent à Marseille et dans sa région, à Paris ou à Melun pour les militaires. Ces familles fortunées – beaucoup sont commerçants ou fonctionnaires – comprenant aussi des serviteurs et des esclaves domestiques, acquièrent de vastes propriétés dès leur arrivée, comme les Humsi ou les Hamawi qui deviennent de grands négociants marseillais. Mais la majorité des auxiliaires rapatriés sont illettrés, anciens marins, domestiques, petits artisans et même des prélats, généralement pauvres. Ils se retrouvent notamment dans les bas-fonds marseillais, dans un univers de vagabondage et de prostitution autour du port ou de la place Castellane. Selon l'historien de Marseille Paul Gaffarel, certains vivent dans de véritables "bidonvilles" avant l'heure, dans des "huttes qui ne rappelaient que trop les taudis des fellahs égyptiens", et d'autres "s'entassent dans des immeubles dégradés proches des quartiers anciens". » (p. 81)

3. « À l'heure de cette "passion algérienne", et durant tout le XIXe siècle aussi, à l'intérêt des Français pour l’Égypte a répondu celui des Égyptiens pour la France. Des élites, attirées par la 'modernité', ont cherché à puiser dans le creuset des révolutions parisiennes des idées neuves. Ambassades, étudiants, écrivains, journalistes, artistes et artisans ont fait de Paris une étape incontournable de leur parcours initiatique. La plus emblématique et fondatrice de ces missions estudiantines reste celle de 1826, en provenance d’Égypte, du cheikh Rifâ'a al-Tahtâwî conduisant, à l'âge de vingt-cinq ans, une cinquantaine d'étudiants (issus des grandes familles) pour un séjour de plusieurs années à Paris. Le consul de France Edme-François Jomard a convaincu le vice-roi d’Égypte Mohamed Ali d'envoyer celle-ci en France, symbolisant ainsi les bonnes relations diplomatiques de la France en Orient. Il lui a expliqué qu'à "la vue d'un musulman n'y existe pas la même répugnance que dans les villes d'Italie", car les Français "ont une bienveillance pour les Turcs". Autant d'arguments qui ont poussé le khédive à envoyer le jeune cheikh avec son groupe d'étudiants, suscitant la publication du récit de leurs découvertes, intitulé en arabe _Takhlîs Al Ibriz Fi Talkhîs Parîz (L'Or de Paris)_, sans aucun doute le livre de référence de la 'nahda' arabe – ce mouvement de "renaissance" et réformateur influencé par l'Occident. Selon Robert Solé, al-Tahtâwî s'impose comme l'un des "personnages clé de la Renaissance culturelle en Égypte" et un précurseur des relations franco-orientales. » (pp. 89-90)

4. « En 1889, la France compte trois fois plus d'étrangers qu'au début du Second Empire, et les débats sont vifs entre ceux qui prônent la fermeture de la citoyenneté et les partisans de l'assimilation. Ces derniers l'emportent, la loi consacre désormais le droit du sol comme critère fondamental d'attribution de la nationalité française... sauf pour les "indigènes" comme en Algérie où reste en vigueur le sénatus-consulte de 1865.
C'est dans ce cadre légal et inégalitaire qu'arrivent les premières vagues de "travailleurs coloniaux" en métropole. […] Dès 1899, le recours à la main-d’œuvre kabyle est encouragé par les autorités locales – malgré l'opposition des colons – notamment par le président de la Délégation financière kabyle, le caïd Aït Mehdi, qui loue alors les qualités de ces "montagnards travailleurs et intelligents" très différents des "autres Arabes". […] Commence alors, écrit Abdelmalek Sayad", "le plus grand apport de la colonisation à l'ordre capitaliste mondial". » (p. 122)

5. « Malgré une fraternité d'armes indéniable, les inégalités persistent. À fonction et grade équivalents, un tirailleur ne perçoit encore que la moitié de la solde d'un métropolitain, et les rares indigènes parvenus au grade d'officier ne voient leur carrière progresser qu'avec une extrême lenteur. Comme l'écrit Elkbir Atouf, si cette "période de 1914-1918 représente incontestablement le début du va-et-vient qui a largement marqué l'histoire des mouvements migratoires entre la métropole française et ses colonies nord-africaines", celle-ci n'a pas les bases d'une égalité entre métropolitains et indigènes. C'est d'ailleurs au cours de ces années qu'un vocabulaire méprisant pénètre le langage populaire en France, à l'image des termes 'bicot', 'naze', 'bougnoule', 'Sidi' ou 'Arbi' pour les Arabes, 'modiste' pour les zouaves (à cause de leur uniforme), mais aussi plus imagés comme 'cafard', 'gourbi' ou 'barda'.
Simultanément, une nouvelle génération politique émerge parmi ces travailleurs ou militaires, dont l'émir Khaled, petit-fils d'Abd el-Kader, est l'exemple le plus connu. Le maréchal Foch souhaite l'utiliser pour remotiver les unités nord-africaines, grâce à des tournées qui s'étalent sur plusieurs mois. Il devient, au lendemain de la guerre, un responsable politique important et réclame une représentation parlementaire pour les Algériens en soutenant le mouvement de réforme des Jeunes-Algériens : "Nous avons mérité cet honneur et la mère patrie considérera sans doute qu'elle se doit à elle-même de nous l'accorder." » (pp. 141-142)

6. « Petit à petit, le modèle colonial se reproduit en métropole. La séparation entre 'indigènes' et métropolitains va être accentuée par la 'question sexuelle'. En interdisant aux femmes d'accompagner leurs époux en métropole et en refusant le recours à une main-d’œuvre coloniale féminine (sauf pour quelques exceptions antillaises), les autorités françaises favorisent – sans le vouloir – les rapprochements entre ouvriers indigènes et ouvrières françaises dans les arsenaux et les usines œuvrant à l'effort de guerre. Les médecins s'opposent à ces unions : "les hommes qui composent les troupes de couleur (Algériens, Marocains, Sénégalais, etc.) sont tous syphilisés", affirme doctement le spécialiste Julien Raspail (1915). Même les féministes s'en mêlent, telle Louise Bodin en 1917 au sujet de l'usine Citroën dans _La Voix des femmes_ : "On a infligé à ces ouvrières la promiscuité d'une population masculine étrange, que nous connaissons sous le nom de Sidis... J'ai entendu beaucoup d'ouvrières s'en plaindre et s'en révolter." » (pp. 147-148)

7. « La vie culturelle des communautés immigrées se diffuse dans les grandes villes de métropole. Des artistes émergent, tels les peintres algériens Miloud Bourkeche et Azouaou Mammeri – qui fait sa première exposition parisienne en 1921, et avait été exposé en 1917 au pavillon de Marsan –, l’Égyptien Georges Hanna Sabbagh – exposé pour la première fois à Paris en 1917 à la galerie Chéron –, l’Égyptienne Amy Nimr (qui expose en 1926) ou le Tunisien Yahia Turki (qui grâce à une bourse vient étudier à Paris). La presse militante, nationaliste ou communiste, se diffuse et des revues d'échanges et de dialogues apparaissent, comme _L'Ifrikia_ de Mohand Chérif Salhi ou _Maghreb_, conjointement animées par Robert-Jean Longuet et les Marocains Mohamed Hassan Ouazzani, Abdelkader Benjelloun et Ahmed Balafrej. L’Égyptien Georges Henein publie aux côtés d'André Breton, André Malraux et André Gide dans de nombreuses revues alors qu'Edmond Jabès, écrivain et poète né en Égypte dans une famille juive francophone, apparaît sur la scène littéraire.
À Paris, artistes et écrivains arabo-orientaux croisent les mouvances d'avant-garde. Mohamed Iguerbouchen ou le chanteur algérois Mahieddine Bachetarzi commencent à se faire un nom alors que l'on retrouve de nombreux artistes arabo-orientaux, comme Didouche Sayah ou le chanteur chaoui Aïssa Djermouni qui se produisent dans les cabarets tels le Tam-Tam près de la place Saint-Michel, La Casbah, rue Saint-André-des-Arts, ou El Djazaïr rue de la Huchette, fréquentés par le Tout-Paris. Concentrée dans la capitale, cette activité littéraire et artistique marque de son empreinte la production artistique parisienne. » (pp. 172-173)

8. « Le nombre d'étudiants 'étrangers', évalué à plus d'un millier en 1946, passera à huit mille cent trente-quatre en 1950. Dans le même mouvement, après la parenthèse de Vichy, la politique de naturalisation est relancée par la circulaire de février 1945 et porte à plus de quatre-vingt-cinq mille naturalisations en 1947, dont une forte proportion d'Arméniens.
Dans ce cadre, la politique française d'immigration est contradictoire avec, sans l'admettre officiellement, le souci de privilégier l'arrivée de certaines nationalités tout en limitant d'autres flux, notamment en provenance de l'aire arabo-orientale. La réflexion est menée entre 1945 et 1947 par des économistes autour de Jean Monnet et du Commissariat général au plan ainsi que par des démographes réunis autour d'Alfred Sauvy, de Pierre Vincent et de l'Ined. Si les économistes n'évoquent pas les "caractéristiques ethniques", les démographes estiment cette distinction indispensable : il faut que l'immigration, nécessaire et inévitable pour la reconstruction, soit "destinée à continuer la France et non pas à créer un pays qui serait peut-être économiquement et politiquement la France, mais qui ne le serait plus humainement".
La venue de populations européennes "voisines" est privilégiée, tandis qu'au bas de l'échelle quelques catégories doivent être strictement limitées aux seuls cas individuels qualifiés : les Noirs et les Nord-Africains mais aussi selon Alfred Sauvy les Grecs, "Levantins" syriens et libanais, Arméniens, "Israélites de l'Europe orientale", parce que considérés comme des sujets "trop éloignés de notre civilisation". Dans ce lot, l'immigration algérienne – pourtant toujours coloniale – est plus particulièrement ressentie comme un danger par la sphère technocratique. Cependant, avec la loi du 20 septembre 1947 donnant la citoyenneté française aux Algériens, il n'existe pratiquement plus d'obstacle officiel à leur libre circulation. » (pp. 190-191)

9. « Les présences venant du Maghreb, du Proche-Orient et du Moyen-Orient, de l'ancien Empire ottoman, notamment d’Égypte, d'Arménie ou du Liban sont aujourd'hui indéniablement ancrées dans tous les pans de la société française, à travers une population qui peut être évaluée à environ sept millions de personnes (étrangères ou ayant des origines dans les pays concernés), soit plus de 10% de la population française […]. Que ce soit dans le domaine économique, politique, diplomatique, culturel ou médiatique, ces présences se sont affirmées, y compris dans des milieux traditionnellement 'frileux' en matière de diversité.
Cet ouvrage – ce dernier chapitre en particulier – montre qu'une part de la France est bel et bien "maghrébo-orientale", et cela se vérifie particulièrement lors de cette dernière décennie. Personnalités reconnues ou anonymes de différentes classes sociales issues des mouvements de population anciens ou récents vers l'Hexagone depuis ces différentes régions et cultures du bassin méditerranéen et au-delà au Moyen-Orient, ces hommes et ces femmes redéfinissent les contours identitaires de la France.
[…]
Et c'est en clair-obscur que se dessine ce dernier chapitre – qui en appellera d'autres à l'avenir – celui d'une France encore et toujours façonnée par ses influences maghrébo-orientales qui, malgré les tourments, les vicissitudes ou les craintes, se doit de célébrer aussi la richesse et la pérennité de ces présences qui, si elles contribuent depuis plusieurs siècles à l'histoire de France, constituent désormais une part d'elle-même. » (pp. 297-298)

10. [Benjamin Stora in : Postface] « Dans un texte précédent, nous écrivions que "le travail historique aide à sortir de ce dilemme entre trop-plein et absence de mémoires. L'historien qui cherche à expliquer l'événement n'est pas un juge imposant un verdict définitif à la place de la société. Il maintient ouverte la porte des controverses citoyennes, car il prête attention aux conditions de son époque pour sortir de la rumination du passé et des blessures mémorielles. Ce faisant, il recrée sans cesse les outils d'un travail de mémoire jamais clos". C'est ce à quoi nous invite cet ouvrage et les quarante historiens, sociologues et spécialistes qui portent et croisent leurs regards sur cette histoire riche et méconnue. Ils nous apprennent que la France a été pour tous ces hommes et ces femmes qui sont venus s'y établir, non pas le lieu du "sang et du sol", mais celui d'une langue et d'une culture dont ils se sont faits progressivement les interprètes, qu'ils ont renouvelées et enrichies en les mêlant à d'autres cultures et traditions. Ils ont cimenté et créé l'unité d'un monde culturel à base de francophonie, dépassant les frontières étatiques et pénétrant au sein des cultures maghrébines, africaines, orientales. Ils poursuivent la tradition d'une culture française qui ne vit pas repliée sur elle-même mais s'enrichit des apports d'un Sud si proche. » (p. 344)

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