En août 1969 apparaît à New York, dans la partie malfamée du Bronx appelée El Barrio et habitée par les Portoricains, un groupe de jeunes garçons et quelques filles (âgé.es entre 17 et 20 ans), principalement des étudiants et des junkies, qui s'inspirent des Black Panthers et se vêtent à la Che Guevara. Ils aspirent à « servir et protéger le peuple » mais ne savent par où commencer. Aussi, s'enquièrent-ils autour d'eux et, ayant reçu comme réponse que le souci du quartier le plus immédiat, c'est « la basura » - les ordures, ils réquisitionnent manu militari des balais et des sacs-poubelle auprès des services municipaux préposés, nettoient les rues de leurs mains de révolutionnaires en herbe, puis déversent ces détritus dans les « beaux quartiers » adjacents et y mettent le feu pour dénoncer la négligence des pouvoirs publics : c'est là « l'Offensive des poubelles », acte de naissance des Young Lords.
En quelques années, ils affinent par eux-mêmes leur conscience politique, se constituent en structure de parti très réglementée et disciplinée jusque dans l'intime, avec ses Ministères, ses Commissions, son Comité central et autres hiérarchies de commandement, ils créent leur propre organe de presse, le journal _Palante_ vendu par les membres, réussissent des actions d'éclat appréciés de tous, mais surtout ils gagnent les cœurs de la population, la sympathie d'une partie croissante de l'opinion et même la relative bienveillance du maire de New York. Tels une sorte de chevalerie marxiste-maoïste-guévariste, les Young Lords ont une pensée (plus globale) anti-colonialiste visant l'indépendance portoricaine, et une action directe (très locale) de « service social » de quartier. Parmi leurs actions les plus significatives, après les poubelles, on rappelle l'occupation d'une église pour la distribution de vêtements gratuits et de petits-déjeuners aux enfants – avec réception de dons/confiscation de nourriture auprès des commerçants, l'organisation de tournées sanitaires pour le dépistage de la tuberculose et du saturnisme, l'occupation d'un hôpital avec instauration d'un service de traitement de la toxicomanie d'avant-garde utilisant l'acupuncture.
À mesure que la conscientisation avance au sein de l'organisation et auprès de la population qui se tourne spontanément vers ces Jeunes Seigneurs plutôt que vers les institutions d'un État capitaliste et raciste, et tandis que s'ouvrent des sections des Young Lords dans plusieurs grandes villes de l'Est américain, la révolution prend surtout la forme d'une évolution personnelle : se posent les questions du sexisme de la société et à l'intérieur du parti, de l'homophobie, du racisme négrophobe alors que les Portoricains sont eux-mêmes très métissés, de leur nationalisme et d'éventuelles alliances avec les mouvements indépendantistes portoricains. Ce dernier point constituera la principale cause du déclin puis de disparition du parti : fragmenté sur la question de poursuivre son ancrage local ou bien d'intervenir au Porto Rico, il réagira par le dogmatisme, « la dérive sectaire, la terreur et la violence », y compris par les purges, les expulsions, sans doute également sous l'influence d'infiltrations policières en son sein.
Cet ouvrage a d'abord le mérite de porter à la connaissance du lectorat français un mouvement révolutionnaire assez méconnu, qui possède une actualité étonnante, plus grande notamment que celle des Black Panthers, surtout sur la question des évolutions personnelles de ses militants, ainsi que sur son ancrage territorial, presque de la démocratie directe – tant qu'elle a subsisté. Deuxièmement, il est absolument admirable dans sa forme : chaque sujet est traité en laissant la parole aux protagonistes, retrouvés par l'autrice à partir de 2014, dans un recoupement des entretiens et des productions écrites de ces anciens militants. Alors que je redoutais au départ un texte décousu, plein de redites et incapable de profondeur, j'ai été stupéfait par l'approfondissement des sujets obtenu grâce à cette « polyphonie », qui se reflète dans un ton de plus en plus sérieux au fil des pages, comme s'il révélait la maturation même des révolutionnaires au fil du temps, alors qu'ils se posent des questions de plus en plus complexes. Si le départ, avec l'Offensive des poubelles paraît presque anecdotique, les problématiques identitaires de l'Ofensiva Rompacadenas et l'adoption de procédés staliniens d'élimination des dissensions internes indiquent tout le chemin parcouru en accéléré par les Lords, en quelques années seulement. Enfin, avec beaucoup de subtilité et la sagacité qui caractérise l'autrice dans tous ses ouvrages, elle sait suggérer, dans un récit historique qui pourrait sembler reculé dans le temps et lointain à cause de la spécificité du contexte, par touches fines, tout ce qui est récupérable dans l'expérience : comme problématiques (environnementales, sanitaires, anti-sexistes), autant que comme solutions (la dialectique entre négociation avec les médias et les pouvoirs publics d'une part, et la défense armée contre les violences policières d'autre part) et comme écueils à éviter (la démocratie interne et les méthodes de prise de décisions), dans les luttes progressistes contemporaines de tous ordres.
Table [avec appel des cit.]
Avant-propos
Liste des personnages
Source des paroles
Introduction – L'offensive des poubelles
Chap. 1er : La naissance - « Nous étions les fils et les filles de pionniers portoricains »
Bref aperçu de l'histoire coloniale portoricaine
La première génération et les espoirs déçus de la migration
Le climat des années 1960
Les Young Lords à Chicago : des gangs à l'action politique
Les Young Lords de New York
Chap. 2 : Les débuts - « Servir le peuple »
Le syncrétisme pragmatique : la pratique prime sur la théorie [cit. 1]
Les 'community programs' [cit. 2]
L'occupation de la First Spanish Methodist Church : « Une zone libérée au cœur de l'Amérique capitaliste »
Chap. 3 : La santé - « Des soins gratuits pour tous ! » [cit. 3]
La santé comme objet politique
La jonction avec les professionnels de santé
Le programme de santé : santé communautaire et environnementale
La médecine socialiste
Des actions collégiales [cit. 4]
Le camion de radiologie libéré
Occuper « La Boucherie » [cit. 5]
Capitalisme + Came = Génocide
La désintoxication radicale : idéologie et acupuncture [cit. 6]
Chap. 4 : Féminisme, grève du sexe et luttes pro-gays - « La révolution dans la révolution »
Un milieu machiste : « Je savais que j'aimais ma mère, et je savais que je ne serais pas comme elle »
Le sexisme de la révolution : « La position des femmes au sein du mouvement, c'est sur le dos »
La lutte des femmes pour redéfinir les Young Lords
Le féminisme au quotidien [cit. 7]
La lutte contre la passivité apprise : le rôle des modèles et de la Commission des femmes
« La guerre commence à la maison » : politiques de l'intimité
La position féministe des Young Lords : intersectionnalité et mixité
Déconstruire la masculinité : la Commission des hommes
La Commission gay [cit. 8]
Conflits, grève du sexe et départs
Chap. 5 : La vie quotidienne des Lords - « 25 heures par jour et 7 jours sur 7 »
Devenir Lord
Être Lord
Le travail communautaire : 'la vida en el barrio'
« Les gens adorent les outsiders » : la mise en scène et l'utilisation des médias [cit. 9]
Les relations avec la police
La surveillance
La position sur la violence
Une organisation paramilitaire
Le développement du parti
Chap. 6 : Nationalisme et conception fluide de la race - « Tengo Puerto Rico en mi corazón »
« Porto Rico était un lieu magique » : l'île affective
Le « Nuevo Despertar » des mouvements portoricains des années 1960
Des nationalistes révolutionnaires avec une conception fluide de la race
L'éducation populaire et la reconstruction d'une identité de lutte
La lutte contre la « mentalité colonisée » et le racisme interne [cit. 10]
Chap. 7 : Partir ou rester ? - L'« Ofensiva Rompacedenas »
Les actions nationalistes
La seconde occupation de la People's Church
Le rapport à l'Île
Le « désastre »
Chap. 8 : La fin des Young Lords - « Winter in America »
L'erreur fatale
La tentative de rectification
La Puerto Rican Revolutionary Workers' Organization (1972-1976)
Dérive sectaire, terreur et violence [cit. 11]
Épilogue
Annexes :
1. Programme en treize points et plateforme de l'organisation des Young Lords (octobre 1969)
2. Règles de conduite (Rules of discipline) (mai 1970)
3. Programme de santé en dix points (janvier 1970)
4. Position des Young Lords sur les femmes (septembre 1970)
Cit. :
1. « Le syncrétisme pragmatique : la pratique prime sur la théorie.
"Le parti des Young Lords est un parti politique révolutionnaire qui lutte pour la libération de tous les peuples opprimés" : ainsi débute le programme des Young Lords. Très inspiré des Black Panthers, ce texte est cependant nettement plus long que celui en dix points écrit par Huey P. Newton et Bobby Seale (les fondateurs du Black Panther Party) en 1966. Celui des Lords a pour particularité de dessiner d'emblée deux champs d'action : le nationalisme portoricain d'une part, et la transformation des conditions d'existence immédiate par et pour le peuple d'autre part. Ainsi, le programme exige autant l'autodétermination pour les Portoricains et pour tous les Latinos que "le contrôle populaire de la police, des services de santé, des églises, des écoles, du logement, des transports et de l'aide sociale". Dans la lignée des Black Panthers, il affirme aussi : "Nous croyons que l'autodéfense armée et que la lutte armée sont les seuls instruments de libération".
Le texte porte la trace de diverses influences, outre celle du Black Panther Party : un mélange de marxisme, de maoïsme, de guévarisme, de nationalisme portoricain et de nouvelle gauche... - une diversité idéologique qui reflète celle des parcours politiques et des centres d'intérêt des fondateurs. » (p. 53)
2. « Pablo Guzmán : Juan était devenu ministre de l’Éducation parce que c'était lui le plus instruit, lui qui avait l'esprit le plus affûté. Juan s'occupait des livres donc, sauf que ce n'était pas comme si les gens pouvaient les lire. Et même ceux qui arrivaient à lire, disons _L'Homme et le Socialisme_, le jetaient en disant : "C'est chiant." Juan ne comprenait pas comment on pouvait trouver Che Guevara ennuyeux. Mais c'était vraiment l'avis des gars. Juan n'en revenait vraiment pas. On a dû chercher des façons de s'adresser aux frères et aux sœurs qui n'aimaient pas l'école. Mais comment faire ? En vrai on n'a toujours pas trouvé la bonne solution. On a tout essayé – faire des blagues, se défoncer ensemble – tout est bon pour faire passer le message. » (p. 59)
3. « Pablo Guzmán : Après l'Offensive des poubelles et l'occupation de l'église, nous hésitons sur la direction à prendre. Pendant nos premiers mois d'existence, nous avions connu des pics d'activité, des moments très dynamiques, pleins d'énergie, qui attiraient beaucoup de gens – et étaient suivis de périodes creuses et léthargiques. Or nous ne voulions pas être un parti organisé autour d'actions spectaculaires, nous voulions aussi exister pendant les temps morts. C'est dans ces moments-là que vous faites le vrai travail, que vous construisez votre base et que vous tissez des liens profonds dans la communauté. C'est ce travail-là qui compte, c'est ça qui est difficile. En comparaison, le reste est presque facile. Balancer une brique sur une voiture de police, ce n'est pas très compliqué. Mais si vous voulez que cinquante personnes viennent vous soutenir, vous avez intérêt à avoir énormément travaillé en amont. Nous en étions donc à réfléchir à cette action quotidienne, aux formes qu'elle allait prendre. Et c'est Juan qui a su rassembler des idées qui étaient encore vagues, et dégager le thème de la santé. C'était une réalité, quelque chose de concret, qui avait du sens pour les gens. Nous pouvions montrer comment leurs problèmes de santé étaient le produit d'un système cupide et raciste. Nous ne méritions pas nos maladies, nous n'étions ni bêtes ni irresponsables, c'était le système qui nous rendait malades ! » (pp. 69-70)
4. « Cleo Silvers : Les gens de l'élite médicale venaient souvent de milieux privilégiés, et la plupart du temps ils ne savaient absolument rien de la culture des gens qu'ils étaient censés soigner, ni de leurs conditions de vie.
Fitzhugh Mullan : Les cours sur notre "élitisme", comment apprendre à servir le peuple quand on vient d'un milieu bourgeois où l'on est habitué à donner des ordres... J'étais assez partagé. Je comprenais la nécessité de remettre en question nos valeurs et peut-être de les changer. Mais le propos était très militant, assez brutal : en substance, nous venions d'une classe sociale néfaste, nous avions de fausses valeurs et nous devions être rééduqués. Bien entendu, il n'était pas question de nous éliminer ou de nous envoyer nous rééduquer à la campagne, mais les cours pouvaient être assez agressifs, les Young Lords ne nous ménageaient pas. Il n'y avait pas beaucoup de place pour la nuance, la discussion. J'ai grandi dans une famille catholique et ces cours me rappelaient parfois le catéchisme : c'est le seul autre endroit où on m'avait demandé d'apprendre par cœur et d'appliquer sans discuter. » (p. 83)
5. « New York Times (15 juillet 1970) : Hier, un groupe de 150 personnes mené par les Young Lords a occupé l'ancienne école d'infirmières du Lincoln Hospital dans le Bronx. L'occupation a duré douze heures et les manifestants ont présenté une liste de revendications que l'administrateur de l'hôpital a jugées légitimes.
Les manifestants demandent qu'aucune coupe budgétaire ne soit faite dans les services et le maintien des emplois, la construction rapide d'un nouvel hôpital, des soins préventifs en porte-à-porte, avec une attention particulière sur le dépistage du saturnisme, de l'anémie, de la tuberculose et de la toxicomanie, ainsi qu'une crèche pour les patients qui n'ont pas d'autre choix que d'amener leurs enfants avec eux.
Juan González : Nous avons occupé l'hôpital moins de 24 heures, parce que le maire a envoyé immédiatement des négociateurs. Il y avait des patients, ce n'était pas n'importe quel lieu. Et ils ne voulaient pas d'un autre incident comme celui de l'église. Car celui-ci nous avait amené encore plus de notoriété. » (pp. 92-93)
6. « Denise Oliver : Pour moi, la méthadone c'était la mort, mieux valait encore se piquer. L'idée de ne plus utiliser de méthadone mais l'acupuncture pour aider les gens à décrocher venait aussi de ces réflexions sur la santé.
Micky Melendez : Le Lincoln Detox Program fut le premier programme à New York à utiliser l'acupuncture comme traitement contre la toxicomanie. Ce fut le premier à obtenir un protocole de recherche en acupuncture. Voici quelques-unes des réussites dont on ne parle jamais parce que les gens qui y ont donné naissance étaient des révolutionnaires qui aimaient leur peuple et avaient un programme de santé radical qui faisait peur à la richissime industrie de la santé.
Le Lincoln Detox Center va exister sous sa forme radicale jusqu'en 1978. Géré par une équipe comprenant des Young Lords, des Black Panthers, des médecins blancs et des militants d'autres associations radicales locales, il continue d'attirer de nombreux patients. Mais le centre ne fait pas l'unanimité. Plusieurs incidents émaillent son histoire, et il est de plus en plus controversé. » (p. 103)
7. « Denise Oliver : […] Chez nous, la radicalisation des hommes passait par le programme de petits déjeuners gratuits. Car ce n'était pas que les femmes qui s'en occupaient : les mecs aussi ! Ils devaient aller chercher les gamins, leur faire des œufs brouillés et des saucisses – et ça, c'était radicalisant en soi ! Les cadres de santé travaillaient en équipes mixtes, et ils avaient exactement les mêmes tâches : les mecs devaient collecter l'urine exactement comme les femmes...
Iris Morales : Ça voulait dire que les frères devaient apprendre à travailler avec des chefs qui étaient des femmes. Et que si des hommes traitaient mal les femmes, ils pouvaient se faire expulser du parti, ou perdre leur rang. C'est arrivé à bon nombre de leaders.
Pablo Guzmán : Je me souviens d'un jeune homme qui avait violemment giflé une jeune femme, parce qu'il pensait que c'était comme ça qu'on se faisait obéir. David Perez n'était pas loin. Il a foncé sur le mec et l'a violemment poussé contre le mur en disant : "C'était quoi, ça ?" Le gars a compris qu'il avait fait une connerie et il a répondu : "Pardon, ma main a dérapé." David s'est retenu un instant, puis il lui a balancé son poing dans la figure. Le gamin s'est étalé par terre. "Désolé, mon poing a dérapé", a dit David. » (pp. 123-124)
8. « Denise Oliver : Le groupe gay est né du groupe des femmes. Nous savions qu'il y avait plusieurs lesbiennes : un couple très discret là-dessus et deux femmes butch […], dont les préférences sexuelles ne faisaient aucun doute. […] Chez les hommes par contre, personne n'était ouvertement gay. Un jour, dans le groupe, une femme a dit qu'elle savait que deux hommes du parti étaient gays, mais qu'ils jouaient les machos pour le cacher. Au sein du groupe des femmes, nous avions l'habitude de parler de nos différences tout en nous considérant toutes comme des sœurs. Ça m'était complètement égal que certaines soient lesbiennes ou hétéros, que certaines soient mariées et d'autres pas... Nous étions des sœurs, nous luttions ensemble contre le patriarcat. Ce processus a été très libérateur pour trois sœurs en particulier. […] Et nous avons décidé de combattre l'homophobie en plus du sexisme. Nous avons dit aux hommes qu'il fallait qu'ils fassent leur coming out, et qu'ils comprennent que l'homophobie était tout autant un fléau que le racisme, le sexisme et tous les autres -isme. » (p. 137)
9. « Pablo Guzmán : Nous savons que, grâce à l'utilisation que nous avons faite des médias, les gens aiment notre audace, ils nous aiment, ils nous voient comme leurs petits-enfants.
Cette image de révolutionnaires fils du peuple, de Che Guevara ennemis des capitalistes mais amis des 'viejitas' est la marque des Young Lords. Si elle correspond en partie à la réalité de leur action de terrain, elle est aussi le fruit d'une stratégie de communication très efficace, menée par Pablo Guzmán, ministre de l'Information. Les Lords ont leur propres médias : le journal _Palante_ et une émission de radio hebdomadaire diffusée sur la station WBAI. Mais ils font aussi régulièrement l'objet d'articles dans la presse généraliste. Pablo Guzmán se rend compte très tôt qu'il est important de ne pas refuser de parler aux médias et de comprendre les règles du système médiatique pour les utiliser à bon escient.
Juan González : Pablo Guzmán était notre ministre de l'Information. Il n'avait que dix-huit ans, mais il avait lu Marshall McLuhan au lycée et il avait déjà une pensée très développée sur la communication et sur la représentation médiatique. Il disait : "Nous devons toujours réfléchir à la façon dont nos actions vont apparaître dans les médias, et nous demander comment nous pouvons orienter le type d'histoires qui sont publiées sur nous." » (p. 157)
10. « David Perez : Dans le Young Lords Party, nous parlons beaucoup de "mentalité colonisée" quand nous hésitons à prendre des responsabilités. On nous a conditionnés à penser que nous ne sommes pas capables de diriger des gens. Le système éducatif n'encourage ni l'initiative individuelle ni la créativité. Il développe la capacité d'être un suiveur, une mentalité d'ouvrier et d'employé. Nous tremblons à l'idée d'être chefs, parce qu'on nous a élevés pour être des suiveurs. […] Les traces et les vestiges de l'esclavage demeurent. Ils ont ôté les chaînes du corps des esclaves et les ont mises dans leur crâne.
La "mentalité colonisée" désigne l'intériorisation de l'infériorité sans cesse ressentie dans un système raciste et les comportements et attitudes qui en découlent : passivité, servilité, manque de confiance en soi. Les actions des Lords visent à lutter contre cette mentalité colonisée, en projetant une image de force et en offrant l'occasion aux jeunes membres de s'éprouver dans l'action. Mais c'est sur la question de la race et du racisme que cette lutte se révèle la plus urgente, et la plus douloureuse. » (pp. 191-192)
11. « Richie Perez : […] Les Panthères s'étaient fait piéger comme ça : d'abord des accusations, ensuite quelqu'un se faisait descendre, et ensuite, quand la guerre était déclarée, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Après notre fuite, nous en avons parlé tous les deux : nous ne pouvions plus faire confiance à personne, après avoir été trahis par des gens qui étaient tellement proches de nous.
Pablo Guzmán : Cet épisode a rapproché certains d'entre nous qui avaient quitté l'organisation et qui ne se parlaient plus. Nous avons organisé une réunion au Lincoln Hospital, et nous avons décidé de leur envoyer un message collectif : s'ils n'arrêtaient pas, nous serions forcés d'agir. Et nous étions plus nombreux qu'eux. […] Mais ça a été un épisode très triste, qui a laissé un goût amer.
"And now it's winter
Winter in America
Yes and all of the healers have been killed
Or sent away, yeah
But the people know, the people know
It's winter
Winter in America
And ain't nobody fighting
'Cause nobody knows what to save
Save your soul, Lord knows
From Winter in America." » (pp. 226-227)
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