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Notes de lecture pour Pierre Bayard

Il y a actuellement 11 notes de lecture correspondant aux livres de Pierre Bayard (voir ci-dessous).

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apo



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Posté: Sam 25 Aoû 2018 12:45
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La réponse à la question du titre : ni l'un ni l'autre –, si elle correspond à un réalisme statistique prudent et sage, n'est hélas ni glorieuse pour l'auteur (mais on l'eût condamné pour orgueil dans les cas contraires...), ni fondée sur un travail de fiction littéraire touffu, que promettait pourtant le Prologue, en introduisant les concepts de « personnage-délégué » et de « personnalité potentielle ».
À la place, nous avons lu une casuistique symétrique de conditions nécessaires (trois et trois) pour qu'un sujet, confronté à une situation de conflit éthique (un cas particulier du conflit psychique freudien) d'envergure, ici la loyauté au gouvernement de Vichy ou bien à la Résistance – avec quelques brèves incursions dans trois autres contextes plus récents : les massacres cambodgiens, la guerre en Bosnie et le génocide rwandais, « bascule » vers le « devenir-résistant » ou le « devenir-bourreau ». Chaque cas est étoffé par des exemples historiques – expériences ou figures – réels, la minuscule part de fiction se limitant à indiquer en quoi le « personnage-délégué », le narrateur de ces petites parenthèses romanesques, ne répondait pas à la condition nécessaire requise ou éventuellement quel ajustement fictionnel l'aurait mené à y accéder... Il reste entendu qu'aucune des conditions nécessaires ne s'avère suffisante, et que cette dernière relève du mystère voire de la métaphysique.
Les conditions nécessaires à une « bifurcation » vers le passage à action, sont : le désaccord idéologique, l'indignation, l'empathie envers les victimes ; celles qui conduisent à l'abstention de l'action : la peur, les cadres de pensée, le défaut de créativité. Le « point de bascule » peut avoir provenir « de soi-même », « des autres », « de Dieu » ou plutôt de la foi en Dieu.
Les cas utilisés pour illustrer les chapitres :
- pour le concept de « personnalité potentielle », le film de Louis Malle, « Lacombe Lucien » ;
- pour le « conflit éthique », l'expérience sur l'obéissance de Milgram à l'université de Yale ;
- pour la « bifurcation », le livre de Christopher Browning, Des Hommes ordinaires, sur le massacre des Juifs de Josefow en Pologne par le 101e bataillons de réserve de la police allemande ;
- pour le « désaccord idéologique », l'autobiographie de Daniel Cordier, le disciple de Maurras devenu assistant de Jean Moulin ;
- pour « l'indignation », La Promesse de l'aube de Romain Gary [Pierre Bayard étant par ailleurs l'auteur d'une monographie sur Gary, cette figure historique est étudiée dans le détail] ;
- pour « l'empathie », le récit du village du Chambon-sur-Lignon, dans les Cévennes, où furent hébergés de très nombreux enfants juifs, en particulier grâce à l'action du pasteur André Trocmé et de sa femme Martha ;
- pour « la peur », le récit de la Rose blanche, en particulier par le livre d'Inge Scholl sur ses frères Hans et Sophie ;
- pour les « cadres de pensée », le récit de l'acte de désobéissance du consul portugais à Bordeaux Aristides de Sousa Mendes, sur la concession de visas aux réfugiés ;
- pour la « créativité », la figure de Milena Jesenska, non comme muse de Kafka, mais par le témoignage qu'offre d'elle Margarete Buber-Neumann dans son ouvrage éponyme, relatif à leur amitié au camp de Ravensbrück ;
- pour la bascule opérée par « soi-même », le témoignage de Vann Nath dans le film du cinéaste cambodgien Rithy Panh : « S-21, la machine de mort khmère rouge » ;
- pour la bascule opérée par « les autres », le témoignage du général Jovan Divjak dans son autobiographie : Sarajevo, mon amour ;
- pour la bascule opérée par « Dieu », le documentaire de Marie-Violaine Brincard sur cinq Justes rwandais intitulé : « Au nom du père, de tous, du ciel » (2010).

Ces références et l'usage qui en est fait sont d'un grand intérêt ; une autre réf. citée transversalement et fréquemment est : Michel Terestchenko, Un si fragile vernis d'humanité. Banalité du mal, banalité du bien, La Découverte, 2005. [Pour mémoire, j'ajouterai aussi l'ouvrage collectif : Jacques Sémelin (et al. - dir.), La Résistance aux génocides. De la pluralité des actes de sauvetage, Presses de la Fond. Nat. Sc. Po., 2008].


Cit. :

« "Pourquoi", demande l'un des tracts de la Rose blanche, "tant de citoyens, en face de ces crimes abominables, restent-ils indifférents ?" Je ne crois pas pour ma part que tant de gens soient indifférents devant les crimes collectifs. Le sentiment qu'ils donnent de l'être et de détourner les yeux tient au fait qu'ils sont figés par la peur et que celle-ci va jusqu'à les empêcher de penser, et de penser de façon personnelle à ce qu'ils pourraient concevoir comme une action minimale de contestation.
Cette méconnaissance de la place de la peur conduit souvent, dans un après-coup réducteur, à diviser de manière artificielle la population des pays sous dictature entre les résistants et les soutiens du régime, en ignorant le nombre considérable de personnes qui désapprouvent ce qui se passe, mais ne trouvent pas pour autant en elles la force, comme l'ont eue les Scholl, de briser les barrières de la peur. » (p. 94)

« En cela, ces actes d'opposition – qu'ils soient le fait de héros ou de Justes – ne se limitent pas à résister, au sens de dire non. Ils impliquent de frayer à chaque fois une voie originale qui ne se présentait pas comme telle avant d'être inventée et qui fait après coup apparaître que le sujet disposait bien en réalité d'un choix, même si celui-ci était invisible.
Mais cette ouverture des possibles ne peut conduire à rien si le sujet n'est pas prêt à rompre avec soi et à s'extraire du cadre qu'il constitue pour lui-même. » (p. 118)
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[Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? | Pier...]
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andras



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Posté: Dim 06 Mai 2012 9:11
MessageSujet du message: [Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? | Pier...]
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Prequ'aussi bon que son livre "Comment parler des livres que l'on n'a pas lus". J'adore l'humour et l'intelligence de Pierre Bayard !
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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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C-Maupin



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Posté: Lun 05 Fév 2007 16:22
MessageSujet du message: [Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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Un livre intéressant, mais qui ne parle pas de ma forme de lecture préférée : la lecture-plaisir où on lit un livre entièrement pour en goûter tous les instants, tous les détails, même si on sait qu'on en oubliera la majeure partie .

J'ai trouvé beaucoup d'analogies avec le texte de Marcel Proust "sur la lecture" (je vous rassure : ce dernier texte je ne l'ai pas lu et il n'est pas dans ma bibliothèque. Mais je l'ai écouté, lu par André Dussollier- j'en profite pour recommander ce CD à ceux qui ont du mal avec le style de Proust : sa prose devient d'une fluidité inégalable dans la bouche d'André Dussollier).
Par exemple Proust signale que la fin d'un livre représente une fin pour son auteur mais ne doit être que le point de départ des réflexions du lecteur, il rappelle que la lecture peut conduire à la stérilité intellectuelle et la préeminence de la création. Enfin, à propos des lecture enfantines, il signale comme elles sont chargées, plus que de la valeur du livre, de la puissance évocatrice de nos souvenirs et des circonstances où elles ont été faites.
Toutes idées qu'il m'a semblé retrouver chez Pierre Bayard.

Une autre idée très intéressante est que "l'intérieur d'un livre est son extérieur", c'est à dire qu'on en sait plus sur un livre par la place qu'il occupe au milieu des autres livres que par son contenu. Cela m'a rappelé une lecture que j'ai faite il y a longtemps , celle d'un recueil de contes chinois "spectacles curieux d'hier et d'aujourd"hui". C'est une compilation de contes anciens, faite je crois au dix-huitième siècle par un lettré chinois, et les notes montrent comment, le compilateur a modifié le message des différents contes en les agençant de manière différente.

En tout état de cause, même si je ne me sens pas vraiment un des destinataires de ce livre, je l'ai lu avec plaisir, il a trouvé en moi de nombreux échos, et surtout me pousse à approfondir ma réflexion.
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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
Auteur    Message
andras



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Posté: Jeu 11 Jan 2007 11:37
MessageSujet du message: [Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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On peut lire sur la 4ème de couv de ce livre vraiment très intéressant : "Contrairement aux idées reçues, il est tout à fait possible d'avoir un échange passionnant à propos d'un livre que l'on n'a pas lu, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu'un qui ne l'a pas lu non plus." Je vous avoue que n'ai pas lu une seule ligne de ce livre, mais si vous voulez qu'on en discute ensemble, ce sera avec plaisir car il me semble receler beaucoup d'excellentes choses et ce serait dommage de ne pas profiter de l'occasion pour en parler ensemble de manière approfondie. A très bientôt donc ! :)

Quelques jours plus tard : Valentin m'a prêté ce livre et je me suis plongé dedans ... et avec quel délice ! Pierre Bayard nous explique avec brio que la meilleure façon d'aimer tous les livres est de ne point les lire et de les inventer en en parlant. Difficile de résumer ce livre foisonnant citant Valery, Montaigne, Oscar Wilde, David Lodge et quelques autres pour nous convaincre qu'oublier de lire un livre ou de l'oublier après l'avoir lu n'empêche pas de bien parler des livres. Il nous parle des livres-écrans, des livres-fantômes, des livres collectifs et d'autres sortes de livres qui peuplent notre univers de lecteurs ou de non-lecteurs. Derrière le jeu et le paradoxe se cachent quelques graves vérités qu'il n'est jamais trop tard pour découvrir. Je m'avoue séduit par l'intelligence et la malice de Pierre Bayard. Chapeau et sûrement à bientôt !
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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
Auteur    Message
mapiou



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Localisation: Sceaux

Posté: Jeu 25 Jan 2007 14:26
MessageSujet du message: [Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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je trouvais que cela aurait été classe de parler de ce livre sans l'avoir lu, et cela aurait plu à l'auteur, mais je n'ai pu résister et n'en ai fait qu'une bouchée. Comment puis-je donc en parler aujourd'hui ? Je veux dire, suis-je la bonne personne ?
Ce livre parle de la non-lecture, de la culpabilité que l'on peut ressentir à ne pas avoir lu certains livres incontournables alors que l'on est sensé être "cultivé", et à toutes les situations maladroites qui s'ensuivent quand on est face à une personne qui attend de nous un disours sur un livre que l'on n'a pas lu.

Pierre Bayard explique qu'il est un véritable enjeu culturel à parler des livres que l'on n'a pas lus, d'avoir une vue d'ensemble des livres, de savoir les situer les uns par rapport aux autres et que cette connaissance n'est pas de la non-lecture.
Après tout, on sait vite quelque chose d'un livre que l'on n'a pas lu (la presse, le bouche à oreille, le feuilletage., l'éditeur, la collection, l'auteur..).
De plus, on se vante parfois d'avoir lu tels classiques, mais si on devait en parler, on serait bien gênés, car qui se souvient suffisamment de ses lectures passées pour en parler encore ?
Alors des livres que l'on a lus sont aussi en quelque sorte des livres qu'au final on n'a pas lus... il faut bien le reconnaître.

Ce qui me semble intéressant dans ce texte qui tourne dans le para-littéraire, c'est qu'en effet, la lecture est faite de phantasmes (on rêve les livres), de complexes issus de l'enfance (complexe culturel) et que parler de livres, c'est parler au fond de soi. On lirait ce que l'on a envie d'être, de combler, on parle des livres comme de ce que l'on a envie de protéger en soi, de dire de soi.

Ensuite, il est intéressant de se débarrasser de la culpabilité et d'assumer haut et fort que oui on n'a pas lu Proust, Joyce ou Homère. Dans le domaine de la lecture plaisir, a-t'on des comptes à rendre aux autres (ou à soi) ?

Moi personnellement, à 2 ou 3 exceptions près où j'ai dû parler trop vite !, je veux bien parler des livres que je n'ai pas lus, en disant que je ne les ai pas lus.
Car j'aime apprendre des autres en échangeant, et que je suis lectrice par curiosité.
Je trouve navrant d'écouter quelqu'un se dépêtrer dans son mensonge, dans sa gêne. Quelqu'un qui assume sa non connaissance est pour moi déjà sur la bonne voie de la connaissance.

Mais ce n'est pas de cela dont parle l'auteur : il parle surtout du travail de critique littéraire qui impose de ne pas lire par manque de temps, par peur de se perdre dans les livres, par peur de perdre son temps...

Au fond, il ne parle pas de ce qui fait le plaisir de lire des individus comme vous et moi.
Sa perspective est professionnelle.

Quelques questions :
quels sont ces livres que l'on n'a pas lus, et pourquoi ? font-ils peur ? a-t'on peur d'être déçu et de briser l'espoir que l'on a déposé dans ces livres en les achetant ? J'ai beaucoup de livres dans ma bibliothèque achetés il y a des années, que je suis heureuse d'"abriter" chez moi, et ça me rassure de savoir que je suis sûre (ou presque) de pouvoir les lire un jour. du fétichisme ? de l'angoisse ?
Pierre Bayard parle de cet infini de la lecture qui est terrifiant.
Pourquoi suis-je pas bien quand je ne finis pas un livre (la peur de l'échec ?).
Je viens de lire le Père Goriot à 33 ans car je n'en pouvais plus de ne pas savoir ce qu'il y a avait dans ce livre. Comment se fait-il que j'en ai ressenti de la fierté ? Pourquoi le fait de lire m'apporte t'il de la satisafaction personnelle ? Est-ce que cela me fera pareil le jour où je lirai enfin plus de 10 pages du Rouge et le noir ? et de Madame Bovary ? Qu'aurais-je vaincu ? Suis-je parfois maso ? pourquoi s'obstiner ? Etre libre, est-ce justement se détacher de cette "tyrannie" de lire ?

Et bien non : j'atttends juste le bon moment de recevoir ces textes, de les accueillir en moi. Je découvre à mon rythme, sans pression, je m'auto-médicamente en fonction de mes besoins, de mes manques, de mes coups de tête !
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[Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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apo



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Posté: Sam 08 Juin 2013 21:47
MessageSujet du message: [Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? | Pi...]
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Grand merci à C-Maupin, à Andras, à quelques autres agoriens qui ont participé au débat sur cet ouvrage il y a quelques années, et à l'Agora en général]

Si je m'en étais tenu à la suggestion contenue dans l'essai, je me serais inventé ce livre sous forme de pamphlet humoristique érudit, genre Paul Watzlawick ou Georges Picard, dont je raffole d'ailleurs, jouant de l'art subtil du paradoxe, maniant avec doigté l'hyperbole et l'antiphrase... Et c'eût été un autre livre.
Ma dernière lecture d'Eco - qui ne cite pas Bayard, dont cet essai est postérieur - pas plus que le souvenir presque opaque du célèbre ouvrage d'Alberto Manguel (devrais-je déjà le compter parmi mes livres oubliés, suivant une autre préconisation dudit Bayard ?) n'ont suffi à faire germer en moi le soupçon qu'il pourrait avoir esquissé, comme il l'a fait, une très cohérente et probante théorie de la lecture - de la réception, de l'interprétation, de la critique des textes littéraires.
En effet, au-delà de l'apparente facétie des différents types de non-lecture et de leur supériorité vis-à-vis de la lecture, eu égard au critère de la créativité inhérente au discours autour des livres, sont introduits de manière presque liminaire des concepts extrêmement importants : la distinction entre "livre-fantôme" (objet du discours), "livre-écran" (renvoi psychanalytique), "livre-intérieur" (en relation avec la question de la mémoire) d'une part, et leurs correspondants se déclinant en "bibliothèque virtuelle", "bibliothèque collective" et "bibliothèque intérieure" d'autre part.
Il est également clair dès les premières pages que la théorie de la lecture proposée se fonde aussi sur le concept d'intertextualité - issu du structuralisme et de la sémiotique - en relation avec la culture conçue comme un système de références dans laquelle la "vue d'ensemble" prime sur l'oeuvre particulière et spécifique ; il s'agit là d'une théorie largement acceptée de nos jours, mais quand même historique [elle n'est jamais expressément évoquée]...
Encore, au-delà de l'aspect utilement pédagogique de la démarche de l'auteur, qui se réclame sans cesse de la désacralisation de la lecture voire du texte idolâtré comme élément inchangeable par les lecteurs, et donc de la déculpabilisation de (certaines formes quand même particulières de...) la non-lecture, allant jusqu'à recommander une durée de six minutes à consacrer opportunément à chaque livre - au-delà desquelles on se laisserait trop influencer, l'on décèle une solide approche psychanalytique dans le rapport entre le savoir (les livres) et la genèse archaïque des sentiments de honte ainsi que l'image de soi :
"Et comme les mots, les livres, en nous représentant, déforment ce que nous sommes. Nous ne pouvons en effet coïncider complètement avec l'image qu'ils donnent de nous, image partielle, idéale ou dévalorisante, derrière laquelle nos particularités s'évanouissent. [...]
En parlant des livres, c'est donc bien plus que des éléments étrangers de la culture que nous échangeons, ce sont des parties de nous-mêmes qui nous servent, dans les situations angoissantes de menace narcissique, à assurer notre cohérence intérieure. Derrière le sentiment de honte, notre identité même est menacée par ces échanges, d'où la nécessité que cet espace virtuel de notre mise en scène demeure marqué par l'ambiguïté." (118-119)

Ce qui est formidable dans cet essai, c'est que malgré ces contenus et leur solidité conceptuelle qui font la force de persuasion et la limpidité de la structure, la prose est toujours très accessible, légère même ; chaque chapitre est introduit (et chaque concept illustré) non par quelque discours abstrait et hermétique mais par un texte littéraire (Musil, Valéry, Eco, Montaigne, Graham Greene, Shakespeare, Pierre Siniac, David Lodge, Balzac, Sôseki, Oscar Wilde) et l'on peut très bien se limiter à un niveau de lecture ludique de ces textes qui met joyeusement en scène les paradoxes de la non-lecture (parmi lesquels le plus flagrant : Bayard cite très minutieusement des textes tirés de livres qu'il qualifie toujours de "LP - livre parcouru" ou "LE - livre évoqué", parfois "LO - livre oublié"). Si c'est ainsi qu'il parcourt ses textes, et s'il le fait en 6 minutes, je veux bien apprendre à non-lire comme lui...
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andras



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Posté: Ven 10 Mar 2017 12:41
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C'est toujours avec un excitation particulière que j'entame la lecture d'un livre de Pierre Bayard : celle de recevoir une leçon d'intelligence, d'humour, de profondeur d'esprit, de culture. Je ne fus pas déçu cette fois encore avec son "Enquête sur Hamlet", le troisième livre que je lis de la série de ses enquêtes littéraires, les deux autres portant sur le "Roger Ackroyd" d'Agatha Christie et sur "Le chien des Baskerville" d'Arthur Conan Doyle. Comme pour les deux autres essais, Pierre Bayard maintient le suspens jusqu'au bout et ne nous livre qu'à la toute fin du livre "sa" version de l'énigme - cette fois-ci celle d'Hamlet qui comporte en réalité plusieurs énigmes. Avant cela il aura mis en perspective les différentes interprétations de l'oeuvre de Shakespeare, en accordant une place importante (mais loin d'être exclusive) aux approches issues de la psychanalyse dont celle de Freud lui-même, mais aussi celles de Jones, Rank et bien d'autres. Bayard s'appuie sur des figures de style peu connues, comme la syllepse, ou sur une notion issue de l'épistémologie des sciences telle que les "paradgimes" de Kuhn pour nous faire comprendre la difficulté qu'il y a pour deux critiques littéraires à parler de la même chose. L'objet de la discussion - le texte - se dérobe, ou les interlocuteurs ne parlent pas la même langue et l'on aboutit au final à un dialogue de sourd, dont la pièce Hamlet nous donne d'ailleurs des exemples (dans une mise en abyme), sans compter que c'est par du poison versé dans son oreille que meurt le père d'Hamlet. Peu à peu, Bayard nous fournira des indices, à la fois théoriques et pratiques, pour nous amener à la révélation finale. Je me suis une fois de plus régalé avec cette magistrale leçon de Pierre Bayard.
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[L'affaire du chien des Baskerville | Pierre Bayard]
Auteur    Message
Kundry



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Posté: Lun 23 Fév 2015 10:55
MessageSujet du message: [L'affaire du chien des Baskerville | Pierre Bayard]
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Pierre Bayard tente ici de démontrer que dans "Le chien des Baskerville", Sherlock Holmes se serait trompé en concluant que S. est le meurtrier de Sir Charles.

Une lecture que j'ai trouvé extrêmement intéressante - même si (ou parce que?) je ne suis pas du tout d'accord sur le fond!

Tout d'abord, pour moi les polars ne sont pas à prendre au pied de la lettre, mais plutôt comme de jolis contes qui me titillent l'esprit et me font m'évader du quotidien en me plongeant corps et âme dans une intrigue. Du coup, la démarche de vouloir trouver le "vrai assasin" m'a parue saugrenue (même si très intéressante). En fait, je doute qu'on puisse trouver un seul polar qui soit réaliste; la plupart doivent être des constructions de l'esprit très éloignées d'un meurtre et d'une enquête réelle... Le tout est que ce ne soit ni trop tiré par les cheveux ni trop cousu de fil blanc - mais le lecteur doit aussi faire prendre d'un peu de "bonne volonté" pour adhérer au côté imaginaire/iréel de l'histoire (ou alors lire des romans tirés d'enquêtes réelles!).

En l'occurence, Le chien des Baskerville comprend effectivement de nombreuses incohérences (à la relecture j'en avais noté deux spontanément: le chien qui ne s'approche pas et la captation de l'héritage). Mais je trouve que la solution de Pierre Bayard comprend tout autant d'incohérences, et elle ne m'a pas plus convaincue (attention spoiler):
Spoiler: 
Par exemple, s'il est innocent, pourquoi Stapleton garde t-il un tel secret autour de son chien? Et s'il l'aime tant, pourquoi le cache t-il au milieu d'un bourbier plutôt que de le garder auprès de lui dans sa maison? De manière générale, j'ai du mal à croire qu'un amoureux des chiens l'enduise de phosphore pour le protéger (je ne crois pas qu'un chien aime beaucoup ça, ni que ce soit bon pour sa santé...).
De même, l'explication de la dispute entre Stapleton et Sir Henry au sujet de Béryl est difficilement crédible, et expédiée dans une note de bas de page. Si Béryl a crié au secours, on comprend mal pourquoi Sir Henry a ensuite menti à Watson sur le sujet de la dispute...


Enfin, la partie sur le monde intermédiaire m'a parue fumeuse. Si je suis convaincue chaque lecteur crée un monde imaginaire dans sa tête à chaque lecture, je n'adhère pas aux passages de personnages de fiction d'un monde à l'autre.

En fait, je me suis demandée si ce livre-ci n'était pas à prendre au second degré, et si Pierre Bayard ne s'amuse pas avec nous. Par exemple, alors que dans un chapitre il démontre que suite à l'absence de preuves, on peut avoir des doutes au sujet de la réelle culpabilité de S., il enchaîne dans le chapitre suivant par "Comme démontré précedemment, S. est innocent". Bref, il commet exactement les mêmes erreurs que Holmes, à savoir conclure sur la base de simples hypothèses! En un mot, Pierre Bayard nous a pondu une solution tout aussi bancale que celle de Holmes, et se demande si on va gober cette nouvelle solution toute crue, ou si on va faire preuve d'esprit critique comme il nous incite à le faire... Mais faire preuve d'un esprit très critique en lisant chaque polar, cela conduit probablement à jeter à la poubelle 95% d'entre eux, et donc à arrêter d'en lire.
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[L'affaire du chien des Baskerville | Pierre Bayard]
Auteur    Message
andras



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Posté: Jeu 03 Sep 2015 17:08
MessageSujet du message: [L'affaire du chien des Baskerville | Pierre Bayard]
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Pierre Bayard n'a pas son pareil pour expliquer une oeuvre littéraire, et dans le cas présent d'un des plus célèbres romans policiers de la toute la littérature, pour nous expliquer et nous convaincre que l'auteur (le fameux Conan Doyle) s'est complètement fourvoyé dans la recherche du coupable de son énigme, aveuglé qu'il était par la haine qu'il vouait à son détective fétiche, Sherlock Holmes. Et Bayard de nous amener à comprendre ce qui se trame réellement dans ce roman, à l'insu même de son auteur, de quelle liberté d'action jouissent les personnages littéraires au delà du texte écrit, et à découvrir in extremis qui est le véritable meurtrier de cette sombre histoire. C'est absolument jouissif (il m'avait déjà fait le coup avec Agatha Christie et son "Roger Ackroyd") et je vais essayer de me procurer le 3eme livre de cette trilogie, consacré lui à Hamlet. Pierre Bayard, nous attendons avec impatience d'autres révélations !
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[Qui a tué Roger Ackroyd ? | Pierre Bayard]
Auteur    Message
andras



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Posté: Dim 08 Mai 2011 23:30
MessageSujet du message: [Qui a tué Roger Ackroyd ? | Pierre Bayard]
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Avez-vous lu un des romans les plus célèbres d'Agatha Christie "Le meurtre de Roger Ackroyd" ? Si oui, vous vous souvenez sûrement de la révélation finale du meurtrier, faite par Hercule Poirot. Mais si, pour une fois, Poirot s'était trompé ? Pierre Bayard refait l'enquête et au bout d'un suspens tout aussi haletant que celui du livre original nous dévoile l'identité du VRAI coupable en nous emmenant dans un voyage vertigineux qui questionne les principes du roman policier et finalement de la littérature elle-même. Un livre d'une intelligence à couper le souffle à lire par tous les amateurs de polars (et de littérature) qui ne veulent pas mourir idiots Wink.
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[Qui a tué Roger Ackroyd ? | Pierre Bayard]
Auteur    Message
Septentria



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Posté: Jeu 01 Sep 2011 17:00
MessageSujet du message: [Qui a tué Roger Ackroyd ? | Pierre Bayard]
Commentaires : 2 >>

Cet essai revient sur le coup de théâtre final du célèbre roman policier d'Agatha Christie, "Le meurtre de Roger Ackroyd" et s'efforce de démontrer son absurdité et son invraisemblance. Hercule Poirot se serait-il trompé ?

Passée la partie sur les écrits policiers d'Agatha Christie et ses techniques d'écriture, avec de nombreux exemples, je me suis passablement ennuyée... L'interprétation psychanalytique ou littéraire, c'est vraiment too much pour moi. J'ai du mal à comprendre qu'on puisse passer autant de temps à essayer de prouver les invraisemblances d'un roman comme celui-ci. Pas inintéressant mais franchement, ce genre de travaux ne m'apporte rien. J'ai peut-être passé trop de temps à faire des choses comme ça en fac de Lettres ?! ;-)
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