L'homme qui marchait sur la Lune s'appelle William Gasper, il a une cinquantaine d'année, et aime marcher donc, des jours entiers, et courir aussi, nu. Depuis cinq ans il arpente inlassablement la Lune, montagne de nulle part au cœur du Nevada. Il marche, escalade, attend, scrute l'horizon, contemple le ciel étoilé, marche encore. Il gravit la montagne, et la redescend.
Mais qui est donc l'homme qui marchait sur la Lune ? Un ascète, un promeneur mystique, un fugitif, un fabulateur, un illuminé, un fou dangereux ?
L'homme qui marchait sur la Lune est un assassin. Ancien tireur d'élite de l'armée américaine, vétéran de Corée, toujours assassin :
« Je suis un assassin, de caractère comme de profession ». D'un ton détaché, il s'explique, ou plutôt il se raconte (ou invente, comme savoir ?). Il ne se justifie pas, ni n'attend aucun assentiment, simplement, il dit :
« J'en suis aujourd'hui à cent quarante, et ne suis pas lassé, toujours pas lassé. »
Et sur sa Lune aride et désolée, il devine une autre présence. Qui le suit ? Une ombre, un autre tueur, ses propres délires ?
En un long monologue, le narrateur entraîne le lecteur dans son ascension au sommet de la Lune. On crapahute à ses trousses, sans savoir où il va, ni d'où il vient. Durant sa longue marche, il soliloque, indéfiniment, mêlant mysticisme, mythologie médiévale, et réalisme, mélancolie et détachement et nous entraîne peu à peu dans les égarements de sa conscience hallucinée, sur les chemins sinueux de la folie. Car si, au début, on pense cheminer avec un doux-dingue, un gentil illuminé, on se retrouve finalement en compagnie d'un psychopathe paranoïaque.
L'homme qui marchait sur la Lune est un roman à part, un étrange mélange des genres, entre éloge lyrique de la nature et thriller. C'est un livre sombre, un chouïa barré, déroutant et parfois même assez dérangent. C'est un récit sous tension d'une grande maîtrise, au style lapidaire et incisif et à la langue à la fois précise et évocatrice. Quelques notes de dérision finissent de désarçonner le lecteur, déjà surpris par l'originalité du mélange des genres et la narration portée par un personnage totalement ambigu : intelligent, éclairé, à l'écoute de la nature et en même temps d'une froideur intérieure extrême.
« Qu'elles concernent l'art, l'amour ou la mise à mort, les valeurs sont une affaire personnelle. Une question de goût et de conventions, rien d'autre. Autant qu'il m'était possible de le faire, je mes suis toujours efforcé d'agir en ces domaines avec calme et raison. Je sais ce que j'aime et je sais ce que je veux. Je suis même prêt à me sacrifier pour les autres. Si je le veux. Je le veux rarement, c'est une des raisons pour lesquelles je vis depuis toutes ces années sur un territoire comme celui que m'offre la Lune : vaste et vide. »
le cri du lézard