On en a tous lu quelques vers, mais cette épopée étrange, je ne l'avais jamais lue en entier. On part de Moscou à bord de ce train mythique - qui sera achevé bien après le poème de Cendras. Y est-il jamais monté vraiment, à l'âge de seize ans, avec son patron ? avec la "petite Jehanne de France" ?
L'ambiance est très onirique et on a des superpositions étranges de personnages et de lieux. La petite Jeanne est très touchante mais qui est-elle ? Est-elle vraiment une jeune prostituée que Cendrars aurait emmenée, rencontrée ou y pensait-il ?
On sent toute l'ambivalence adolescente du jeune poète au milieu de la manière dont il s'est gobergé de tous ces lieux nouveaux, ces images et les irruptions humaines, a senti tous les changements politiques et la strangulation de l'Histoire.
A écouter absolument - étincelante, bouleversante, en art total, ce que Cendrars aurait adoré - la lecture de Bernard Lavillers !
Citations :
    En ce temps-là j’étais en mon adolescence
    J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
    J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
    J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
    Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
    Car mon adolescence était si ardente et si folle
    Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple
    d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou
    Quand le soleil se couche.
    Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
    Et j’étais déjà si mauvais poète
    Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.
    Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
    Croustillé d’or,
    Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
    Et l’or mielleux des cloches…
    Du fond de mon cœur des larmes me viennent
    Si je pense, Amour, à ma maîtresse;
    Elle n’est qu’une enfant, que je trouvai ainsi
    Pâle, immaculée, au fond d’un bordel.
    Ce n’est qu’une enfant, blonde, rieuse et triste,
    Elle ne sourit pas et ne pleure jamais;
    Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire,
    Tremble un doux lys d’argent, la fleur du poète.
    Si tu veux nous irons en aéroplane et nous survolerons le pays des mille lacs,
    Les nuits y sont démesurément longues
    L’ancêtre préhistorique aura peur de mon moteur
    J’atterrirai
    Et je construirai un hangar pour mon avion avec les os fossiles de mammouth
    Le feu primitif réchauffera notre pauvre amour
    Samowar
    Et nous nous aimerons bien bourgeoisement près du pôle
    Oh viens !
    J’ai peur
    Je ne sais pas aller jusqu’au bout
    Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments
    Mais je n’ai pas pris de notes en voyage
    “Pardonnez-moi mon ignorance
    “Pardonnez-moi de ne plus connaître l’ancien jeu des vers”
    Comme dit Guillaume Apollinaire
    Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine
    Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés
    À quoi bon me documenter
    Je m’abandonne
    Aux sursauts de ma mémoire…
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