Cette lecture dérive de mon insatisfaction - méthodologique - face à l'essai de Philippe Brenot,
Les femmes, le sexe et l'amour. Mais je ne soupçonnais pas de trouver dans cet essai (qui date quand même de 2004) la réponse aussi totale et absolue à toutes mes perplexités et mes critiques. D'où un enthousiasme peut-être excessif ? Le temps le dira.
La démarche d'abord. Le sexe est toujours un "sexe
culturel complexe, où se mêlent imaginaire et archétypes, où se discernent à la fois l'attrait et la crainte". (p. 9) En ces deux natures (culturelle et imaginaire-archétypale), la psychanalyse ne saurait être absente et son rôle prépondérant sur tout ce qui relève de la représentation. La parole des participantes (ici au nombre de 18) doit être prise dans l'intégralité de sa valeur discursive-littéraire (y compris les silences, les non-dits, l'analyse de la lettre, le langage même au sens lacanien) et il faut bien la prendre pour une vérité subjective, composée d'images, de l'ensemble des déterminations inconscientes (y compris collectives), et du vécu qui se baigne aussi de l'idéologie sexuelle actuelle. [A ce propos, j'ai bien apprécié l'idée qu'une certaine "libération des vieux carcans", notamment lorsqu'elle est référée par le discours ambiant, dont nous savons par ailleurs qu'il est très majoritairement produit par des hommes et des dominants et destiné aux femmes, est sans doute prescriptif plus que descriptif, et fort probablement relevant de fantasmes masculins et de nouveaux horizons de domination... (p. 17 et passim)].
Par conséquent l'ouvrage se développe en deux parties : l'une théorique, très orientée vers la psychanalyse, traitant les questions préalables suivantes : 1. paroles , 2. images, 3. inconscient, 4. vécu. Cela est quand même assez court (60 p.)
Deuxième partie, consacrée aux dix-huit récits, traités donc en longueur, avec une profusion de notes de bas de page qui ont une fonction très nettement interprétative des propos (renvois à Freud, Jung, Lacan, Mead et autres auteurs classiques de la psychanalyse mais aussi, souvent à des auteurs littéraires). Il faut remarquer que les textes ont été entièrement rédigés par l'auteur et contiennent relativement peu de guillemets de citation ; en d'autres termes, ils ont été rendus en forme entièrement littéraire - ce qui peut sembler infidèle mais que, pour ma part, j'ai beaucoup apprécié, également en termes de goût de lecture (!). Autre remarque relevant du même esprit : les prénoms des femmes ont été transformés non pas arbitrairement mais par des références très marquées (mais pas toujours immédiatement lisibles pour moi) à autant de personnages mythologiques. Parti pris intelligent. A la fin de chacun, le rappel du titre caractérisant (comme pourrait l'être celui d'une nouvelle) outre les données sociologiques objectives (âge, situation familiale, enfants éventuels, profession).
Le tout est donc très agréable à lire et très fertile en réflexion. Mais ce qui est réellement déroutant, ce sont les conclusions. Car elles s'opposent très significativement à celle de l'étude que j'ai citée au départ :
- "le paysage sexuel féminin des dernières décennies n'a pas été modifié
essentiellement" (p. 249)
- "[la] sexualité [est] vécue le plus souvent sous
la dépendance subtile de valeurs négatives" (ibid.)
- "les modèles actuels de comportements sexuels libérés de toute contrainte et médiatisés avec complaisance
ne sont en grande partie que la mise en images de fantasmes [masculins]" (ibid.)
- "le poids de l'éducation, des tabous transmis,
par les mères notamment, est constant. Même chez les parents les plus jeunes, à quelques nuances près,
on ne parle pas de sexualité" (p. 251)
- "le sang menstruel n'a pas fini de convoquer les spectres de l'abjection et de la honte." (p. 251-252)
- "Des règles aux relations affectives, un panorama se dessine montrant
la difficulté d'une rupture œdipienne de la fille avec la mère." (p. 252)
- "Quant aux pères [...] ils brillent par une inconsistance remarquable, sauf quand la violence leur tient lieu de virilité. " (p. 253)
- "D'autres attitudes de parents équivoques se rencontrent. Par le regard d'abord [...]" (p. 254)
- "Quant à leurs pratiques sexuelles, plusieurs femmes affirment leur droit à la liberté [...], en revanche, la majorité d'entre elles épousent des usages courants." (p. 255)
- Sur la question de l'identité féminine éventuellement en-dehors de toute référence à l'identité masculine : "Que disent les femmes quand, dans leurs propos, elles se disent féminines ?
Ne s'agit-il pas pour elles de se conformer aux images traditionnelles de la féminité désirées par les hommes ?" (p. 256)
- Enfin, sur les "importants bouleversements [qui] ébranlent actuellement les sociétés et les mœurs" : "le désir devient tout-puissant, sans limites à la jouissance, seule manière d'échapper à la réalité de la mort qui obsède la conscience actuelle.
C'est possible puisque je le désire, semblent dire la femme et l'homme contemporains." (p. 257).
Mais là s'ouvre une tout autre histoire...
----
[Recherchez la page de l'auteur de ce livre sur
Wikipedia]