« On ne fait jamais assez attention aux petites choses de la vie. Pourtant le plus souvent, ce sont elles qui sont à l’origine des changements importants de notre existence. » L’incipit du livre est prometteur. La suite est une démonstration de l’inéluctable dans la vie d’un couple ordinaire fait de riens, insignifiants au premier abord, qui s’entrechoquent sans fin et résonnent méchamment dans le vide des existences cloisonnées. Il faudrait en pleurer et cela fait rire comme toute bonne tragédie qui se respecte. L’auteur sait de quoi il parle et où il va, embarquant le lecteur médusé et hilare à sa suite. On s’enfonce rapidement dans l’absurdité de situations nées d’une réflexion féconde mais désabusée, de frustration et d’abattement, encline à engendrer le chaos. Lutter contre la bêtise en éliminant physiquement les cons afin de rétablir des équilibres où l’entraide, la confiance, la communication dominent est un pari risqué. La première victime est la chatte de l’immeuble, Zara. Le narrateur est ahuri par la bêtise d’une émission télévisée animée par un crétin plus vrai que nature. Tout le monde semble pleurer à l’unisson avec un couple de retraités la disparition de leur chien. Le voisin soupçonné d’avoir fait le coup finit par avouer en direct « au nom de la vérité ». « Sur le plateau on entendit un grand cri d’effroi. La petite vieille fondit en larmes. C’est alors que Zara réussit à attraper ma main et me décocha une série de coups de griffes avec ses pattes arrière. Je la saisis par la peau du cou, me dirigeai vers le balcon et la jetai à travers la fenêtre. Puis j’éteignis la télé et allai me coucher. » Ainsi commence la mise à mort programmée de la gent féline et canine du quartier. Suzanne, la concierge de l’immeuble, à l’instar de Columbo, enquête puis apporte sur un plateau le fruit de ses élucubrations au serial killer des toutous et des minets. Exaspéré par l’incorrigible bêtise de Suzanne, le tueur passe la vitesse supérieure et lui fait percuter le coin de sa cuisinière : « Les chats tournèrent autour d’elle. L’un d’eux se posa sur son ventre. J’enjambai son corps et sortis de la loge. » Va s’ensuivre telle une litanie une série de portraits de cons intégraux redoutables. Il y a Patinex, bricoleur achevé, Eric Menard, conducteur mortuaire, les agents des impôts et de la sécurité sociale, les malotrus du métro, tristes sires fondus. Avec une facilité stupéfiante, le narrateur fait la peau à tout ce qui lui nuit mais sur le ton de la comédie bouffonne. Il n’y a aucun sadisme ni voyeurisme dans l’exécution. Elle semble brève et sans douleur comme une tapette écrase un moustique.
Est-ce que ce livre nous venge de toutes les mesquineries et les agressions subies au cours d’une vie ? Le serial killer politique cherche à formaliser sa pratique sinistre et à ce moment, il commence à déranger le lecteur d’abord amusé par le burlesque des situations où les cons valsent comme des pantins. On prend un coup de grisou. La guillotine inventée pour le bien de l’humanité s’approche toujours un peu plus de notre cou coupable. Vers la page 200, au milieu du roman, le meurtre de sang-froid d’un conducteur de métro devient soudainement odieux. Le petit père dépeuple. Ça zigouille sec, ça théorise et cela a un goût nauséeux de solution finale à petite échelle (140 éliminations de cons ont été consignées). Heureusement, bientôt s’immisce dans l’histoire l’inspecteur de police Marie, particulièrement tenace sous ses abords nonchalants. L’histoire est relancée. Le tournage d’un film porno, Les malheurs d’Aspasie, devient bidonnant avec Le Banquet de Platon pour exciter les cervelles et assécher les cons sur place. La fin est amorale. Il y a probablement une petite centaine de pages de trop mais dans ce surplus de gras, on trouve à s’esclaffer. L’auteur use de jeux de mots qui deviennent un peu lassants à la longue. Le lecteur peut légitimement se demander si le maître con étalon n’est pas le tueur lui-même. En tout cas, l’homme ne sort pas grandi de ce roman car les cons recensés par le narrateur psychopathe existent ; je les ai rencontrés. D’ailleurs j’en fais partie malgré moi. Au secours !
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