[La Terre pleurera : une histoire de l'Amérique indienne | James Wilson]
Plus d’une fois il faudra contenir ses larmes à la lecture de l’
Histoire de l’Amérique indienne écrite magistralement par James Wilson après des décennies d’enquêtes, d’entretiens, de recherches. L’auteur rend compte du choc des cultures indiennes et européennes durant cinq siècles de contacts douloureux, tragiques, apocalyptiques. Certains passages du livre laissent le lecteur en état d’hébétude puis l’histoire galope, l’entraîne à nouveau dans son sillage et le secoue encore et toujours, depuis la côte est jusqu’à la côte ouest, en passant par les grandes plaines. Parfois, de guerre lasse, on laisse le livre reposer en paix puis on saisit une nouvelle fois les rênes de l’histoire indienne avec le désir ardent de comprendre et de redonner vie à tous ces peuples laminés, exterminés, symboles d’un éden âpre et grandiose. Une pensée prémonitoire du Sioux oglala lakota, John Hollow Horn, en 1932, est mise en exergue du livre et donne le ton :
« Un jour, la terre pleurera, elle demandera grâce et versera des larmes de sang. Tu devras faire un choix : l’aider ou la laisser mourir ; et quand elle viendra à mourir, tu mourras toi aussi ». Les guerres indiennes passées, on croit trouver une accalmie dans la cohabitation des Euro-Américains et des Amérindiens mais l’acculturation (l’assimilation forcée) qui s’ensuit vise à tuer l’indien dans l’indien, c’est-à-dire à « sauver l’homme » en « tuant l’indien ». Les « écoles indiennes » conçues et dirigées par des Blancs sont de véritables centres de torture pour de jeunes Indiens
« habitués à des parents chaleureux et affectueux, n’ayant que rarement, voire jamais, recours aux châtiments corporels ».
« Si nous parlions indien en classe… ils prenaient une règle et nous frappaient sur la bouche. » Les Jésuites faisaient mordre les récalcitrants dans une bande de caoutchouc qu’ils tendaient ensuite à l’extrême et relâchaient. Le caoutchouc
« venait frapper violemment le visage du contrevenant ». Dans ces internats inhumains, des milliers d’Indiens périssent de grippe et de tuberculose, quelques uns meurent de solitude et de détresse. Parallèlement, les traités sont sans cesse bafoués, les terres indiennes des réserves sont convoitées par les colons et les prospecteurs. Vendre les terres tribales revient à tuer son âme. En 1912, près de 2 000 Cherokees vivent
« dans une pauvreté abjecte » plutôt que de céder leurs terres. Le lecteur peut songer à ce qu’aurait pu être le monde sans l’avilissement de toute chose dû au mercantilisme, à l’égoïsme borné, à la soif inextinguible de pouvoir et de jouissance. Il suffit d’écouter Pleasant Porter :
« Si nous étions libres de vivre à notre façon, nous posséderions ces terres en commun, nous garderions ces prairies ouvertes, nous élèverions un peu de bétail et des hardes de cerfs bondiraient hors de tous les creux… et le moindre ruisseau serait plein de perches dorées. Nous étions habitués à toutes ces choses quand nous étions jeunes. C’est ce que nous aimerions avoir et non ce maïs et ce blé qui poussent… Seulement, nous nous sommes heurtés à cette civilisation et nous n’avions nulle part où aller. » Il convient toutefois de ne pas se leurrer avec des visions romantiques. James Wilson rappelle aussi que :
« le régime nazi a fini par déclarer solennellement que les Amérindiens appartenaient à la « race aryenne ». A la désastreuse politique de «
termination » développée par l’administration américaine, aux manœuvres frauduleuses et parfois criminelles déployées par le Bureau des affaires indiennes, le BIA, la place des Amérindiens dans la société américaine n’a jamais été assurée. Après les
fish-in, l’occupation de l’île d’Alcatraz, les manifestations à Wounded Knee, il faudra attendre les années 70 avec les présidents Nixon puis Ford pour que la politique gouvernementale s’infléchisse et relègue au fond des tiroirs, la
termination c’est-à-dire l’assimilation forcée des Amérindiens. L’épilogue du livre de James Wilson n’est guère réjouissant bien que des avancées notables mais modestes aient eu lieu à l’exemple de la récupération par certaines tribus d’une petite partie des terres spoliées. La grande interrogation concerne toutefois l’utilisation des ressources naturelles comme le dit un leader païute du Nord, Edward C. Johnson :
« Les Etats-Unis ressemblent à une grosse pieuvre… Pour se développer, Los Angeles pompe toute l’eau de l’Owens Valley et les Indiens du Nevada sont réduits à quelques colonies, privées d’eau et de terre ». Les terres d’Arizona irriguées pendant des siècles par des Indiens industrieux ne sont plus que poussière ; l’environnement est devenu stérile et inhabitable. La préservation du lieu de vie va de pair avec la sauvegarde de l’identité culturelle. Après 500 ans de luttes et d’accablement, les «
Native Americans » [les Américains indigènes] n’ont probablement pas dit leur dernier mot.
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