J'ai enfin lu en entier ce discours écrit par un tout jeune homme et publié à titre posthume, sous plusieurs translations. Cela m'a permis d'être désagréablement surprise par la redite du brillant passage que tout le monde connaît, celui du développement du paradoxe qu'un homme seul, dépositaire d'une tyrannie, d'une royauté, puisse à sa guise persécuter un peuple sans que celui-ci procède à son retrait, suivi de l'exhortation à la désobéissance, présentée comme facile ("Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres")... sauf que la deuxième partie vient apporter quelques éléments d'analyse plus rationnels.
Ce tyran n'est pas vraiment seul : il est soutenu par des complices ayant intérêt financier à accompagner ses méfaits, une cour qui grappille de sa puissance, la création d'une hiérarchie, une sorte de "chaîne d'or", comme celle de Zeus tenant toute la création, dieux compris. Quant à ceux qui n'entrent pas dans cette bourse d'échanges, ils sont en quelque sorte hypnotisés par l'aura de grandeur, voire des légendes courant sur le roi ou sa dynastie.
J'ai aimé que La Boétie conceptualise ce qui était perdu réellement dans tous les maux subis plus ou moins profondément par un peuple tyrannisé : la liberté. Ce type de rapport de pouvoir et de sujétion empêche d'agir à sa guise et c'est peut-être la base de la pyramide sociale, ayant le moins à perdre et pas de vassaux à traquer, est peut-être la plus libre.
Comme chez Montaigne, les exemples sont tirés abondamment de l'histoire antique et c'est un régal à lire. C'est intéressant aussi de le voir user du paradigme des animaux pour montrer que le refus du joug et de la contrainte sont un mouvement naturel du vivant, que l'habitude émousse le réflexe de fuite ou de combat du vaincu. Mais c'est l'éducation (et l'intelligence), notamment l'étude de l'Histoire, des temps anciens ayant connu d'autres régimes, qui peut permettre de prendre conscience du joug et de le refuser.
Citations :
* Quant [au tyran]
qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu'il devrait être plus supportable, et il serait, je crois, si dès qu'il se voit élevé en si haut lieu, au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi, qu'on appelle grandeur, il ne prenait la ferme résolution de n'en plus descendre.
* Qu [e les courtisans]
mettent un moment à part leur ambition, qu'ils se dégagent un peu de leur avarice, et puis qu'ils se regardent et se reconnaissent eux-mêmes : ils verront clairement que les villageois, les paysans qu'ils foulent aux pieds tant qu'ils peuvent et qu'ils traitent comme des forçats ou des esclaves, ils verront, dis-je, que cela, ainsi malmenés, sont toutefois, comparés à eux, plus heureux et en quelque sorte libres.
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