Dans la première partie de cet ouvrage, le journaliste Marc-Olivier Fogiel relate son expérience, avec son mari François, de la paternité de leurs deux petites filles nées par GPA éthique aux États-Unis. De nombreux détails méconnus sur la GPA en général, et sur le sens de la GPA éthique en particulier, sont ici abordés. Dans le témoignage personnel, à l'évidence, la motivation fondamentale de l'auteur est de répondre aux préjugés contre ce mode de procréation, en particulier à l'accusation de marchandisation du corps féminin, et par-delà la GPA, au sentiments malveillants qui subsistent à l'égard de l'homoparentalité. Dans la partie suivante, Fogiel se coiffe de nouveau de sa casquette de journaliste pour mener une enquête assez vaste sur la GPA, fondée sur des témoignages à d'autres Français, hommes et femmes, hétérosexuels et homosexuels, ayant eu recours à cette méthode dans plusieurs pays au monde, dans des conditions répondant ou non à l’épithète d'éthique. Dans cette seconde partie, apparaissent avec beaucoup d'honnêteté les côtés parfois problématiques de la GPA, aussi bien dans les relations entre les « parents d'intention » et les donneuses d'ovocytes et les femmes porteuses (qui sont toujours des personnes différentes lorsqu'on parle de GPA), que dans les conditions dans lesquels les grossesses se sont déroulées, mais surtout dans les infinis tracas administratifs que de nombreux parents ont dû subir après la naissance de leurs enfants, à la fois pour leur rapatriement en France et pour la régularisation des actes de naissances. Il apparaît que, tant que la GPA est interdite, l'administration française notamment consulaire, mais aussi la juridiction et d'autres instances opèrent de manière plutôt discrétionnaire. Par conséquent, la plus grande partie des coûts (au demeurant très élevés) d'une GPA ne consiste pas dans la rémunération ou le dédommagement des femmes porteuses et donneuses, ni même dans la logistique et dans les frais sanitaires, mais dans les frais d'avocat et autres rémunérations des agences (plus ou moins véreuses) qui, dans différents pays, organisent au niveau international tout le déroulement de l'opération. Parfois, dans certains pays, il faut ajouter des pots de vin distribués aux autorités locales, notamment en Europe de l'Est ; et le résultat demeure au mieux aventureux ou pire aléatoire. L'issue des procédures peut être longue et incertaine, et pourtant préférable à l'adoption. Naturellement, cette insécurité juridique dans la reconnaissance de la responsabilité paternelle se retrouve aussi lors des séparations entre les parents d'intention, surtout s'ils n'ont pas procédé à l'adoption mutuelle de l'enfant du conjoint, rendue désormais possible par le Mariage pour tous. Les enfants, sans avoir commis de faute, sont donc les moins protégés...
Les cas d'étude recueillis sont également alternés et agrémentés par des « Réflexions du square des Batignolles », qui donnent aussi des aperçus du quotidien de l'auteur en tant que père de Mila et de Lily : ainsi la narration ne perd jamais son côté humain, familial, « naturel » dans le sens de l'ordinaire parental des familles françaises contemporaines.
Cit. :
1. « Il faut en plus que les deux futurs parents soient d'accord sur les critères à privilégier. Nous nous étions entendus dans un premier temps pour privilégier les traits relevant de l'intelligence, de la réussite scolaire et sociale : nous voulions être fiers du patrimoine génétique que nous allions transmettre à nos enfants. Malgré tout, l'apparence physique de ces femmes a aussi joué un rôle : c'est un peu comme une rencontre amoureuse. Ce n'est vraiment pas une attirance ou une considération sur la beauté de ces femmes, mais un ressenti, quelque chose dans leur visage fait dire oui ou non, un air, un regard, une expression. Ensuite seulement des critères plus intellectuels nous ont permis d'éliminer davantage de profils. » (p. 24)
2. « On ne saurait comprendre ce qui fait la spécificité de la GPA éthique si l'on ne saisit pas ce qui peut pousser une femme à offrir de porter un enfant pour quelqu'un d'autre. On s'imagine que seule la nécessité peut contraindre une femme à faire à un couple cet incommensurable cadeau, alors que c'est une démarche profondément altruiste. […] Les femmes porteuses américaines ont souvent quelque chose qui s'apparente à une vocation. Le mot n'est pas exagéré, quand on sait tout ce que cette aventure humaine exige d'elles, ne serait-ce que d'arrêter de travailler, dans certains cas pendant près d'un an, en regard d'un dédommagement qui paraît assez dérisoire : environ 20.000 dollars. Dans d'autres pays, comme au Népal, l'argent reçu permet vraiment de changer de vie. Aux États-Unis, ce n'est pas le cas.
La GPA éthique n'a rien à voir avec la marchandisation du corps de la femme. Les conditions drastiques d'éligibilité des femmes porteuses écartent celles que la misère pousserait à louer leur ventre. Elles doivent être majeures, avoir eu au moins un enfant qu'elles élèvent, ne jamais avoir perdu d'enfant, ne pas dépendre des aides sociales et avoir une situation financière stable. » (p. 29)
3. « D'ailleurs, il n'est pas seulement question d'altérité sexuelle : au sein d'un couple gay, les rôles entre les deux parents ne sont pas les mêmes et permettent à l'enfant de construire son schéma familial, comme dans n'importe quel modèle parental. Comme dans un couple hétérosexuel, il y a souvent un parent consolant, empathique, un peu gâteau, et un parent qui gronde, sépare et transmet les règles avec autorité. […] Les lignes ne sont pas brouillées et nos filles connaissent parfaitement la norme sociale, au point de nous réciter tout un chapelet de stéréotypes, déjà un peu dépassés, quand on leur demande ce que c'est, pour elles, une maman. "Une maman, c'est celle qui donne à manger, qui protège, qui emmène à l'école, qui berce, qui accompagne pour les sorties." » (p. 70)
4. « On pourrait se demander pourquoi ces deux femmes se sont tournées vers la GPA plutôt que vers l'adoption. Elles ne pourraient, ni l'une ni l'autre, quoi qu'il arrive, avoir le lien génétique avec leur enfant. Encore très durement marquées par cette décennie perdue à tenter de devenir mères, Stéphanie et Nathalie mesurent combien le processus d'adoption peut traîner en longueur. Elles ont choisi la GPA, certes coûteuse, certes longue, mais dont on sait du moins quand elle commence et quand elle finit. Outre cet aspect pratique, la GPA leur permettait de vivre la conception, de suivre la grossesse, d'assister à l'accouchement et d'accueillir leur enfant dès les premiers instants de vie : la GPA leur offrait cette grossesse qui était leur unique but depuis tant d'années. » (pp. 102-103)
5. « Elles étaient donc convenues que Charlotte passerait 48 heures seule avec le bébé après l'accouchement, pour nouer cette relation charnelle, de peau à peau, qui lui avait manqué pendant la grossesse. C'est à ce moment-là que la crise a éclaté. Eva avait été malade pendant la grossesse et avait passé les derniers mois alitée. Sa relation avec Charlotte et cette grossesse qu'elle accomplissait pour elle prenaient de plus en plus d'importance à ses yeux. Elle a beaucoup souffert quand Charlotte a refusé, gentiment, de lui laisser porter l'enfant pendant ce moment privilégié qu'elle souhaitait avoir après l'accouchement. Ce n'était pas l'enfant qui était l'enjeu, mais bien plutôt le lien fusionnel entre ces deux femmes. N'importe quel autre désaccord aurait pu le briser, maintenant qu'était terminée cette grossesse, socle de leur amitié. Elles devaient se retrouver dès la semaine suivante. Elles ne se sont jamais revues. » (p. 109)
6. « Il n'y a aucune ambiguïté : "Leur mère, c'est leur mère." Elles ont toutefois chacune leur manière de caractériser le lien qui les relie à cet enfant qu'elles ont porté pendant neuf mois, pour un couple dont elles sont devenues très proches. Pour Teara, c'est un peu plus que des enfants d'amis, mais pas tout à fait comme des neveux car ce n'est pas un lien familial ; Taylor se considère comme leur 'auntie', une sorte de tata d'élection ; Nicole a plus de mal à mettre des mots sur cette relation unique : "Ce sont les miens sans être les miens." Gayle, quant à elle, considère que l'enfant fait partie de sa famille au même titre que les parents d'intention : "C'est une sorte de famille élargie." Elle termine en posant cette question touchante d'ingénuité, que l'on pourrait poser à certains détracteurs inflexibles : "Plus il y a de familles aimantes, mieux c'est, non ?" (p. 117)
7. « L'adoption aurait pu être envisageable mais, à l'époque, le droit à l'adoption par un homme célibataire homosexuel est grandement théorique. […] À certains [couples homosexuels], on a même expliqué clairement que pour adopter un enfant il fallait qu'ils soient prêts à adopter des enfants "dont personne ne voulait", déjà grands ou atteints de pathologies graves ; ce que la responsable des adoptions du département de la Seine-Maritime légitime ainsi : "Eux-mêmes sont un peu atypiques, par rapport à la norme sociale mais aussi la norme biologique [donc il faut que] leur projet supporte des profils d'enfants atypiques." Cette réponse inacceptable et insultante, aussi blessante pour les couples homosexuels que pour les enfants, revient à faire des deux des citoyens marginaux traités différemment. Cette fonctionnaire, aujourd'hui suspendue, a toutefois eu le mérite de dire franchement ce que beaucoup d'autres responsables de l'adoption en France pratiquent officieusement. » (p. 180)
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