[Faut-il manger les animaux ? | Jonathan Safran Foer, Gilles Breton, Raymond Clarinard]
En entamant cet essai, on se pose forcément la question de notre propre rapport aux animaux que l'on mange. Personnellement, je mange de la viande et du poisson, sans doute moins souvent que la moyenne des individus qui m'entourent. Le fait de manger des animaux ne m'avait jamais vraiment perturbée, dans la mesure où la plupart des animaux en mangent aussi !
J'avais tendance à considérer mon comportement alimentaire comme s'inscrivant dans une sorte de processus naturel.
Ce qui me dérangeait, en revanche, était l'idée du mauvais traitement infligés aux animaux destinés à notre consommation et, dans l'optique de ne pas participer à les entretenir, je me vantais de n'acheter que de la viande issue d'élevages biologiques ou labellisés.
J'étais curieuse de savoir si Jonathan Safran Foer allait me convertir au végétarisme.
Je dois bien avouer que son texte m'a rudement secouée, m'a fait remettre en cause certains de mes principes et a sapé les bases de ma bonne conscience !
Devenu père, il veut comprendre ce qu'est la viande, dans un souci d'honnêteté vis-à-vis de son fils et de lui-même, et savoir ce qu'implique -en matière de souffrance , notamment- la production de la nourriture animale...
Comment la viande est-elle produite, quelles sont les conséquences de l'élevage et de la pêche, et une fois en possession des réponses à ses questions, que devons-nous en faire ?
Suite à son enquête -qui a duré trois ans- il a estimé qu'il ne pouvait garder pour lui ce qu'il avait découvert. Il a visité clandestinement des élevages, a recueilli le témoignage des éleveurs qui ont bien voulu le recevoir, d'employés d'abattoirs, à des membres d'associations de défense des animaux.
Il a utilisé, dit-il, les statistiques les plus prudentes...
Son premier constat est la quasi disparition des méthodes traditionnelles de pêche et d'élevage, au profit des méthodes industrielles (99 % de l'élevage aux États-Unis est industriel). Le métier d'éleveur est ainsi devenu une rareté, remplacé par des emplois peu nombreux, mal payés, et des conditions de travail souvent déplorables.
Je ne vous détaillerai pas le calvaire que subissent les animaux d'élevages industriels : lisez plutôt l'essai de Jonathan Safran Foer.
Disons pour résumer que les impératifs toujours croissants de productivité et de rentabilité ont amené l'homme à littéralement créer, par le truchement de manipulations génétiques, des animaux qui, du fait de leur conception, sont affublés de nombreuses tares et destinés à souffrir. Leurs conditions d'existence, humainement inacceptables (l'entassement à outrance, l'absence de soins, la maltraitance, le gavage aux antibiotiques...), s'achèvent bien souvent par le calvaire d'une mort mal maîtrisée par les employés d'abattoirs.
Ces animaux d'élevage ne sont pas considérés comme des êtres vivants, mais comme de la simple nourriture, que ce soit par les consommateurs ou par les différents acteurs de ces élevages.
L'homme a en effet perdu le contact avec les animaux qu'il mange, devenus une abstraction, et cette distanciation est entretenue par les lobbys de l'agroalimentaire -qui ont assez de puissance pour détourner les réglementations en la matière à leur avantage-, bien conscients que la pérennité de leur activité dépend en grande partie de l'ignorance des consommateurs quant à leurs pratiques. Également conscients que nos comportements alimentaires sont fortement influencés par les campagnes marketing, ces lobbies se sont de plus arrangés pour que les organismes qui promeuvent le secteur agroalimentaire soient les mêmes que ceux qui diffusent au public les infos nutritionnelles...
En ce qui concerne la pêche, si on peut se rassurer en se disant qu'au moins, les poissons capturés lors des campagnes ont vécu leur vie "naturellement", il s'agit de ne pas oublier qu'en même temps qu'eux, sont accidentellement pêchés des dizaines d'espèces dont beaucoup sont en voie de disparition. Les méthodes de pêche industrielle sont ainsi en train de de réduire la diversité et le foisonnement de la vie océanique dans son ensemble...
Cependant, l'auteur réalise toute la difficulté pour l'homme à cesser de manger des animaux. En effet, notre rapport à la nourriture est complexe, et ne se limite pas à une question d'alimentation : nos choix dans ce domaine sont aussi culturels, familiaux, religieux, philosophiques... et renoncer à la viande passe par une démarche complexe, qui suppose une fermeté vis-à-vis de soi-même et des autres pour faire accepter ce choix.
Mais il nous rappelle aussi que la cruauté est fonction de la compréhension que l'on en a et de la capacité à choisir de ne pas l'exercer : à partir du moment où nous sommes dûment informés des conditions dans lesquelles sont élevés les animaux que l'on mange, quelle quantité de souffrance sommes-nous prêts à accepter pour notre nourriture ?
Et cette souffrance, qui est déjà un motif plus que suffisant à nous faire réfléchir, n'est pas le seul fléau généré par les élevages industriels, à l'origine d'un véritable désastre écologique, et amenés, à terme, à provoquer un désastre sanitaire, dont les prémisses (les cas de grippe aviaire qui ont occupé notre actualité il n'y a pas si longtemps) sont loin de laisser imaginer l'ampleur.
Aux États-Unis, les déchets engendrés par l'élevage industriel sont 130 fois supérieurs à ceux de la population humaine. Bien souvent, les animaux, pour être abattus, sont transportés sur de très longues distances. Aux alentours des élevages, les rivières et les nappes phréatiques sont polluées, les riverains développent des maladies liés à la contamination de l'environnement telles que diabète juvénile, maladies inflammatoires et auto-immunes, asthme... Tout comme des études démontrent que le fait de consommer ces viandes provoque une augmentation significative des affections cardiaques, cancers, A.V.C.
Jonathan Safran Foer base son essai sur des données chiffrées, des témoignages a priori fiables, s'appuie sur des faits vérifiables, mais il n'hésite pas, fort de son talent d'écrivain, à l'enrichir d'images, de comparaisons qui rendent son propos plus percutant et plus évocateur.
A l'issue de cette lecture, qui ne peut pas laisser indifférent, nous ne pouvons que nous interroger sur notre propre responsabilité vis-à-vis des maux occasionnés par les méthodes modernes d'élevage.
Bien que la situation dépeinte par l'auteur soit celle des États-Unis, on imagine qu'elle n'est pas si différente ailleurs, ou en tous cas qu'elle tend à s'en rapprocher de plus en plus, compte tenu de la demande croissante de nourriture animale des pays émergents...
Jonathan Safran Foer a fait le choix du végétarisme, mais il ne l'impose pas. Sa démarche a surtout pour but de nous donner le maximum d'éléments propices à une réflexion éclairée. Il peut comprendre, entre autres, la décision de ceux qui tentent une consommation "responsable", en sélectionnant des viandes issues d'élevages traditionnels, mais ce n'est pas celle qui, actuellement, lui convient.
Il est en tous cas certain que nos choix sont en partie responsables de la souffrance que subissent aujourd'hui les animaux que l'on mange...
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