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[Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes | Rob...]
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apo



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Posté: Dim 18 Juil 2021 18:21
MessageSujet du message: [Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes | Rob...]
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[Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes | Robert M. Pirsig]

Avez-vous déjà payé (un) tribut à votre jeunesse ? Je revois très clairement plusieurs amis de mes parents, vers la fin des années 70 (ou le début de la décennie suivante), littéralement conquis par ce livre devenu pendant un temps un incontournable, et me voyant amateur précoce de la philosophie, m'en recommander la lecture, sur le ton péremptoire des détenteurs d'une sagesse qui cherchent à faire des prosélytes. Après quarante ans, le moment de m'acquitter de cette dette spirituelle est venu et, peut-être à cause de mon propre cheminement-vieillissement, peut-être à cause du vieillissement de l’œuvre après tant d'expériences de syncrétismes new-age, j'en ai été très déçu, et pourtant pas au point de ne voir aucun intérêt à la poursuivre jusqu'à la fin. Si George Steiner a qualifié cet ouvrage de « longue méditation sur l'ironique et tragique singularité de l'homme américain », je ne peux m'empêcher d'y déceler une posture particulièrement condescendante vis-à-vis de ladite culture américaine... Les éditeurs et autres rédacteurs des propos aguichants de la quatrième de couverture, quant à eux, trichent, ou mentent ou n'ont pas aperçu les mêmes choses que moi...
Pour ma part, voici donc ce que l'ouvrage contient, dans un entre-croisement textuel qui était peut-être encore original dans les années 70 (?) :
1. pas assez de descriptions des paysages et péripéties vécues par le narrateur et son fils Chris pré-adolescent, durant un périple à moto à travers les États-Unis, en traversant les Rocheuses et jusqu'à la Californie (une carte géographique eût d'ailleurs été la bienvenue) ;
2. pas assez de portraits des personnages et de récit des relations entre eux : entre le père et le fils et, dans la première moitié du livre, entre ces deux et le couple d'amis du père, Sylvia et John, qui chevauchent l'autre moto qui suit une partie de l'itinéraire du protagoniste ;
3. un filage peut-être inattendu mais assurément insuffisant de la métaphore de l'entretien mécanique de la motocyclette conçu comme exercice des pratiques spirituelles indiennes ;
par contre :
4.une importante remémoration autobiographique du protagoniste, sous forme et dans la personne d'un alter-ego appelé Phèdre – sans que ce nom ait un rapport évident (au moins jusqu'au dernier quart du texte) ni avec la figure mythologique, ni non plus avec le nom du célèbre dialogue de la maturité de Platon (j'ai pris soin d'en vérifier le contenu) : il apparaît graduellement que Phèdre représente le narrateur dans la première partie de sa vie, avant qu'une psychopathologie sévère avec hospitalisation et rupture de ses liens familiaux et professionnels ne le sépare – peut-être moins définitivement qu'il le suppose et le souhaite – de celui qui conduit son fils en voyage et écrit ; néanmoins, dans cette remémoration, la genèse et le développement de la psychopathologie, qui eût été l'élément le plus intéressant du livre, sont minorés voire presque occultés ;
5. pour l'essentiel de l'ouvrage – en termes quantitatifs et qualitatifs – un discours philosophique qualifié de « Chautauqua » autour d'un véritable système que Phèdre bâtit sur le concept de Qualité (avec un Q majuscule), qu'il érige en métaphysique voire même en une forme de mysticisme (trinitaire). Honnêtement, le titre du livre aurait dû être : Traité de la Qualité comme système de pensée élaboré par un certain Phèdre devenu fou, et relaté par le même qui se croit guéri, en compagnie d'un fils qui risque de suivre les infortunes du père, durant un périple des États-Unis à motocyclette pendant que celle-ci nécessite un entretien suivi et laborieux.

Or, je ne suis pas réfractaire aux traités philosophiques, bien au contraire, mais le problème est que j'ai été rendu sceptique voire incrédule – au moins durant les trois premiers quarts de l'ouvrage, avant que ne soient abordés les présocratiques et les sophistes qui à l'évidence sont le sujet de spécialisation de l'auteur – sur l'approximation voire l'inexactitude évidente avec laquelle il pose certaines problématiques notoires et utilise certaines notions tout aussi connues : humanisme vs technologie, classicisme vs romantisme (sans distinction de temps, alors que, dans le même sens, il eût été beaucoup plus adapté d'utiliser la dichotomie du structuralisme : verticalité vs horizontalité), Raison vs sentiments, vérité vs réalité, binarité, etc, etc.... À ce compte-là, et considérant aussi de l'obscurité du nom de Phèdre, on a du mal à donner du crédit aux analyses que celui-ci prête à Kant, à Henri Poincaré, à Aristote, aux professeurs de philosophie honnis de l'université de Chicago... Les mystiques orientales, quant à elles, sont si peu abordées, que l'on se demande la pertinence de l'identité entre Qualité et Dharma.
Que reste-t-il donc d'une philosophie peu convaincante mêlée à de la littérature de voyage et à une lecture entre les lignes du rapport entre travail intellectuel intense, prédisposition héréditaire et folie ? Peut-être justement un certain esprit new-age un peu périmé, ou en tout cas fort critiquable, qui se montre par exemple dans le déplacement de la lutte collective au développement personnel (cf. infra cit. 3), de la foi (ou athéisme) institutionnel à la quête d'une spiritualité personnelle, sur mesure, jusqu'à la formulation de son propre système de croyances syncrétique à souhait... Une époque qui s'est méprise pour révolutionnaire et un contexte historique (socio-économique) qui ont la vie dure.


Cit. :


1. « Un jour, pendant un cours de philosophie, comme un professeur démontrait allégrement, pour la cinquantième fois, la nature illusoire du monde, Phèdre leva la main pour lui demander, d'un ton calme, si les bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki étaient, elles aussi, de nature illusoire. Le professeur, avec un léger sourire, lui répondit qu'elles l'étaient. Et le débat s'arrêta là.
Cette réponse était peut-être conforme à la tradition de la philosophie indienne. Mais elle était désespérément erronée pour quiconque lit les journaux et se préoccupe des destructions massives d'êtres humains. Phèdre était de ceux-là. Il quitta l'Inde et renonça à la philosophie.
Il retourna dans son Middle West natal, fréquenta une école de journalisme, se maria, vécut au Nevada et au Mexique, gagna sa vie comme il put. Il écrivit des articles, fut rédacteur technique et publicitaire. Il eut deux enfants. Il acheta une ferme, un cheval et deux voitures, et il commença à prendre du ventre. Il avait renoncé à poursuivre le fantôme de la Raison. Oui – il y avait renoncé.
En apparence, sa vie était devenue confortable. » (pp. 155-156)

2. « Selon les nouvelles conceptions de Phèdre, le monde se compose de trois éléments : la pensée, la matière, et la Qualité. Tout d'abord, il n'a pas réussi à établir la relation entre eux, mais cela ne lui semble pas gênant. Si la relation entre la pensée et la matière a été, pendant des siècles, l'objet de mille controverses inextricables, comment lui, en quelques semaines, serait-il arrivé à des conclusions définitives en ce qui concerne la Qualité ? Il n'essaya même pas. » (p. 256)

3. « Je crois que, si nous devons réformer le monde et en faire le séjour d'une vie meilleure, la voie n'est pas dans les discours sur les structures politiques, qui sont inévitablement dualistes, fondés sur les rapports des sujets et des objets ; […]
Pour améliorer le monde, il faut commencer par améliorer son propre cœur, et sa tête, et ses mains – puis avancer, progressivement, vers le reste du monde. » (pp. 320-321)

4. « Phèdre voulut relire et relire ce passage. L'illumination ! La Qualité, la Vertu, le Dharma, voilà ce qu'enseignaient les sophistes. Ni le relativisme éthique ni une vertu idéale – mais l'aretê, l'excellence, le Dharma. Avant le Temple de la Raison. Avant la substance et la forme. Avant l'esprit et la matière. Avant la dialectique elle-même. Ces premiers professeurs du monde occidental enseignaient la Qualité, et le moyen qu'ils avaient choisi pour ce faire était la rhétorique. Phèdre avait choisi, dès le début, la bonne voie. » (p. 409)

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andras




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Posté: Lun 19 Juil 2021 18:20
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Merci Apo pour ce résumé d'un livre dont je me souviens avoir lu une centaine de pages dans les années 80 et d'en avoir discuté quelques heures avec un copain, qui, lui, prétendait l'avoir lu en entier. Wink
Mais lui avait une moto et apprenait à l'entretenir, et pas moi ! Very Happy
Je vais bientôt passer une semaine avec ce copain, je pense qu'on reparlera de Pirsig, de la Qualité, de politique, et de quelques autres fadaises ...
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apo



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Posté: Mer 28 Juil 2021 11:14
MessageSujet du message:
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Coucou Andras,
est-ce que ton copain fait toujours de la moto et l'entretient-il encore ? Wink
Bel été à toi.
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Auteur    Message
andras




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Posté: Mer 28 Juil 2021 13:39
MessageSujet du message:
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Salut Apo,
Je n'en sais rien, je lui demanderai ! Aux dernière nouvelles (il y a 2 ans) il avait toujours sa vieille "BM". Mais depuis il a déménagé (de Paris jusqu'en Médoc) et je ne sais pas s'il a gardé la moto...
Bel été à toi aussi !
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