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[La Maladie mentale en mutation | Alain Ehrenberg, Anne ...]
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Posté: Ven 08 Juil 2022 6:32
MessageSujet du message: [La Maladie mentale en mutation | Alain Ehrenberg, Anne ...]
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[La Maladie mentale en mutation | Alain Ehrenberg, Anne M. Lovell (dir.)]

Dans cet ouvrage collectif, il n'est pas question de la genèse sociale des pathologies mentales que je recherche toujours avidement, et l'actualité des métamorphoses de la psychiatrie est également fortement mise à mal parce qu'il est daté (2001). Ainsi, les critiques des DSM sont largement connues, de même que les polémiques entre approches neuroscientifiques et psychothérapiques, les questionnements sur les us et abus des prescriptions de psychotropes et enfin, en partie, les inquiétudes sur les études du génome. Cela dit, cette première approche interdisciplinaire entre psychiatrie, sociologie, anthropologie (le cas des sans-abris), ethnologie (le cas de la maladie mentale en Indonésie), histoire et philosophie a le mérite d'explorer pour la première fois des pathologies mentales – en particulier la dépression et les troubles de personnalités multiples – selon plusieurs points de vue. De cette démarche originale apparaissent des voies d'appréhender le phénomène psychopathologique de manière sociologique, certaines desquelles seront approfondies et systématisées par Alain Ehrenberg lui-même dans ses ouvrages successifs, alors que d'autres attendent encore de l'être, peut-être par quelqu'un qui voudra s'engager davantage dans les implications de la « sociogenèse des troubles mentaux », en dépassant à la fois le cadre marxien-pavlovien, les études rattachant spécifiquement une pathologie précise à une condition sociale ou professionnelle (ex. les SDF, les travailleurs de tel ou tel secteur, les chômeurs, les jeunes, etc.), et sans doute en actualisant les découvertes des pionniers parmi les psychanalystes politiquement engagés...



Table [avec quelques commentaires et appel des cit.]

Introduction : « Pourquoi avons-nous besoin d'une réflexion sur la psychiatrie ? » par Alain Ehrenberg et Anne M. Lovell [Les spécificités de la psychiatrie depuis sa naissance et les mutations contemporaines. Cit. 1 et 2]

Première partie : Le sujet pathologique dans tous ses états :
- « L'apparition d'une double personnalité en France – entre médecine et philosophie » par Jacqueline Carroy [Sur l'apparition des premiers cas de personnalités multiples au début de la IIIe République en France]
- « Le trouble de la personnalité multiple : vérités et mensonges du sujet » par Sherrill Mulhern [Sur l'explosion des cas de TPM aux États-Unis dans les années 1980 et sur la dérive des récits des traumas infantiles relatifs]
- « Nos névroses traumatiques ont-elles un avenir ? » par Allan Young [Sur le remplacement de la notion de névrose traumatique à partir du DSM-III et l'émergence d'un nouveau programme de recherche américain sur le « stress post-traumatique » en neurobiologie]
- « Les fictions de soi-même ou les délires identificatoires dans la rue » par Anne M. Lovell [Comment, chez les sans-abris américains, les délires identitaires constituent un mécanisme de défense contre la stigmatisation. Cit. 3]
- « Le sujet de la maladie mentale : psychose, folie furieuse et subjectivité en Indonésie » par Byron J. Good (et alii.) [Étude de cas ethnologique]
- « La neurasthénie de l'écrivain. De Byron à Styron » par Pierre Pachet [Dépression et écriture à partir du Romantisme jusqu'à aujourd'hui. Cit. 4]

Deuxième partie : Traitements et diagnostics :
- « Psychogenèse de la dépression et mode d'action des médicaments antidépresseurs » par Daniel Widlöcher [Une nouvelle conception des figements du corps et de l'esprit. Cit. 5]
- « Les modes de légitimation de la prescription de médicaments psychotropes en médecine générale dans la presse professionnelle depuis 1950 » par Claude Legrand [Comment le social intervient dans la conception de la maladie et de la thérapie]
- « Diagnostic et clinique psychiatrique au temps du DSM » par Jacques Gasser et Michael Stigler [Le grand débat sur les DSM... même s'il n'est question ici que des DSM-III, DSM-III-R et DSM-IV]
- « L'histoire contemporaine de la psychiatrie, dans ses rapports avec la société française » par Georges Lantéri-Laura [Spécificités françaises de la réception de l'antipsychiatrie compte tenu du contexte institutionnel (asiles) et politique (par rapport à la question de la sociogenèse des troubles mentaux).]

Troisième partie : Le mental, le cérébral, le vivant :
- « Y a-t-il des limites à la naturalisation des états mentaux ? » par Marc Jeannerod [La dialectique entre états mentaux et états cérébraux considérée du point de vue de la communication entre individus]
- « Le mental » par Vincent Descombes [Comment la philosophie conteste, sur une base wittgensteinienne la notion de « représentations internes » c-à-d. la dichotomie posée par les neuroscientifiques et exposée dans le chap. précédent]
- « Artifices et Lumières : de la sociobiologie à la biosocialité » par Paul Rabinow [Le potentiel dangereux des recherches sur le génome hypothétisé par rapport au handicap ainsi qu'à la nourriture génétiquement modifiée]



Cit. :


1. « La difficulté réside dans le fait que la pathologie mentale touche ce qui constitue la dimension proprement humaine du vivant animal : l'intentionnalité (désirs, volontés, croyances, raison et raisons, etc.). La pathologie mentale désigne la désorganisation de cette intentionnalité. D'où la lancinante question diagnostique qui traverse toute l'histoire de la psychiatrie : comment objectiver le subjectif ?
[…]
Toute maladie met en jeu une personne qui souffre ou a des symptômes, voire des signes subcliniques. La psychiatrie, elle, concerne une classe particulière de pathologies : la capacité du sujet d'évaluer correctement le "lui-même" qui souffre. La psychiatrie est à la fois médecine comme une autre et autre que la médecine. » (pp. 10-11)

2. « Premièrement, le fait que les usages réguliers et dépendants de drogues illicites sont considérés par les cliniciens comme des automédications de la souffrance psychique, et particulièrement de la dépression. Deuxièmement, la tendance à la chronicisation des pathologies : les patients sont souvent améliorés par les molécules, mais guérisons partielles, rechutes et récidives semblent le lot d'une bonne partie d'entre eux, particulièrement dans les dépressions et les addictions. […] Les professionnels se situent désormais moins dans une référence à la guérison que dans une problématique de la qualité de vie et de la diminution des risques – deux thèmes qui font l'objet d'une immense littérature. Troisièmement, la place qu'occupe dans nos formes de vie la référence au bien-être ne peut que stimuler cette tendance (le bien-être est comme l'horizon : au fur et à mesure qu'on s'en approche, il s'éloigne). Les life-style drugs, les médicaments du mieux-être (la DHEA, hormone supposée ralentir les effets du vieillissement, le Viagra pour traiter les problèmes mais aussi les performances sexuelles, etc.), ont d'ailleurs tendance à se multiplier, et la recherche génomiques sur le vieillissement vise en grande partie la longévité confortable. Si la médecine cherche toujours à guérir des maladies, elle vise aujourd'hui également à améliorer le fonctionnement de la personne (y compris son apparence corporelle). Ces transformations impliquent une réflexion un peu moins moralisatrice sur la notion de confort et sur le statut des médicaments psychotropes, c'est-à-dire sur les multiples manières dont les technologies investissent les corps et sur ce que cela fait à l'humain. Est-on en effet sûr de savoir de quoi on parle quand on emploie les mots "pathologie", "thérapie", "guérison" ? » (p. 18)

3. « Cette logique est bien sociale dans la mesure où on peut référer ces délires aux situations sociales dans lesquelles ils émergent. Et, de ce point de vue, ces délires ne constituent qu'une version pathologique marquée par l'auto-illusion et la rigidité des convictions, de constructions identitaires auxquelles les homeless non malades mentaux procèdent pour avancer dans les espaces stigmatisants dans lesquels ils se trouvent rélégués.
Le délire est, dans ce contexte, à la fois symptôme et ressort identitaire. C'est un construit social, là aussi, et qui suppose, là aussi, le jeu de boucles rétroactives. Mais celles-ci recyclent moins des classements psychiatriques que des statuts sociaux incarnés, qui en déplacent d'autres. Comme dans le cas des symptômes de maladies "réelles", le sujet peut jouer avec ou s'incorporer ces statuts. Ils deviendront alors autant de ressources mobilisées dans le cadre des interactions quotidiennes, et qui lui permettront d'y répondre ou d'y trouver ses points d'appui. Un autre type de récurrence et de boucle se profile donc. » (pp. 154-155)

4. « Dans la dépression, à chaque idée vient s'opposer une idée contraire ; à chaque phrase, une antiphrase ; à chaque impulsion, le sentiment antithétique de l' "à quoi bon ?". L'inertie apparente n'est alors que le résultat d'une mise en doute infatigable, quand tout désir de faire est neutralisé, quand la capacité de décider – c'est-à-dire de se porter en avant de soi-même – est malade. La prétendue "énergie" physico-mentale dont le XIXe siècle (Balzac...) a aimé entretenir l'image n'est pas là en cause. Ni son cubage ni son débit ne sont réduits ; sont atteints plutôt les rythmes internes, la possibilité d'ordonner ou de faire se succéder les impulsions. Désormais, ce sont des hoquets, des secousses contradictoires qui s'annulent, provoquant étranglements ou tournoiements. L'homme déprimé que l'on voit tout à coup s'arrêter ou se prostrer, comme frappé d'inertie, ne subit pas le tarissement d'un flux interne. Ce qui l'arrête et retient ses pas, c'est une idée ou une représentation, un souvenir, une parole qui ne veulent pas venir à l'expression, mais seulement barrer un chemin. » (p. 206)

5. « La théorie habituelle du ralentissement psychomoteur est d'en faire un sous-produit de l'état émotionnel : s'immobiliser résulterait d'une perte d'intérêt secondaire à la tristesse. Cette théorie demeure forte tant que l'on croit à une relation étroite entre figement et tristesse, et que l'on ne relie pas le figement du corps à celui de la pensée.
Si, au contraire, on accepte l'idée qu'il y a de nombreux figements sans tristesse qui réagissent bien aux chimiothérapies antidépressives, et si l'on considère que le figement du corps est identique à celui de l'esprit, on en vient à une autre explication. Il s'agit d'une authentique théorie psychosomatique puisqu'elle fait de la mobilité générale du corps un équivalent d'une certaine forme de mobilité de l'esprit. Il n'y a ni antériorité ni supériorité de l'un sur l'autre. Ce que nous enseigne le figement dépressif, c'est qu'une certaine manière pour le corps de s'animer est identique à un processus de pensée. Le corps ici n'est plus l'enveloppe de l'esprit, il en est une modalité. » (p. 213)

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