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[Boulots de merde ! Du cireur au trader | Julien Brygo, ...]
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apo



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Posté: Mer 25 Juil 2018 13:58
MessageSujet du message: [Boulots de merde ! Du cireur au trader | Julien Brygo, ...]
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[Boulots de merde ! Du cireur au trader | Julien Brygo, Olivier Cyran]

Qu'est-ce qu' un « boulot de merde » ? La définition est à la fois équivoque et multiple, et ne saurait en tout cas tenir compte de la perception subjective que le travailleur en souffrance a de son labeur – définition psychologisante. Disons que la définition retenue dans cette enquête se décline en trois volets complémentaires, afin d'une inclusivité maximale et malgré qu'elle soit éventuellement contestable par vice d'idéologie.
1. « Certains critères sautent aux yeux : la rémunération rachitique, la précarité, les contrats dégradés ou inexistants, la dureté de la tâche, l'isolement, l'entrave aux droits syndicaux, les discriminations (en fonction notamment du sexe, de la religion ou de la couleur de peau), le despotisme patronal ou managérial, le non-respect de la dignité humaine. Ces attributs forment en quelque sorte le noyau des boulots de merde, selon la manière dont ils s'additionnent et se combinent. » (p. 11). Notons que l'ensemble du texte révélera que la « merditude » de ces métiers s'avère être surtout un caractère dynamique, lié à la dégradation des conditions de travail, souvent assez récente ou accélérée, et non nécessairement intrinsèque à la profession.
2. La notion introduite par l'anthropologue américain David Graeber (2013) de « bullshit job », qui renferme les professions aliénantes, dépourvues de sens pour celui ou celle qui les exerce, lui provoquant un surcroît d'ennui, quel que soit son niveau de rémunération et sa position dans la pyramide sociale et salariale. Lorsque la presse française a eu un éphémère engouement pour ce phénomène (avril-mai 2016), elle l'a désigné de « jobs à la con » ; contrairement aux auteurs, j'estime que, bien qu'il y ait de la « merde » dans « bullshit », cette traduction était meilleure pour désigner le concept en question, et qu'il ne s'agissait pas d'un euphémisme. Donc, on dira que les « jobs à la con », souvent des pensums de cadres dépressifs [perso, je ne peux m'empêcher de songer à fonctionnaire de la Commission européenne (en plus, chez les Anglais, il va y avoir un sacré plan social !)...], constituent un sous-ensemble des « boulots de merde » ; je souscris entièrement à cette inclusion.
3. Le regretté philosophe André Gorz, tellement novateur à plusieurs égards, a été le premier à se pencher sur l'utilité, inutilité et surtout l'éventuelle nocivité sociale du travail. (Pour des ex. de cette dernière, cf. les marchants d'armes et les experts en « optimisation fiscale »...). En 2009, les chercheuses britanniques Eilis Lawlor, Helen Kersley et Susan Steed, de la New Economic Foundation de Londres, ont mis au point une grille de quantification sans doute très complexe et multi-paramètres afin de calculer le « retour social sur investissement » de chaque unité numéraire de la rémunération d'un métier en fonction de ses effets positifs ou négatifs sur la collectivité. Ainsi, « elles établissent par exemple que l'agente de nettoyage en milieu hospitalier produit 10 livres sterling de valeur sociale pour chaque livre absorbée par son misérable salaire […]
[…] l'étude conclut que les cadres du secteur publicitaire détruisent une valeur de 11,50 livres à chaque fois qu'ils engendrent une livre de valeur. » (pp. 25-26). Il va sans dire que, dans ce livre, la légitimité à qualifier cette catégorie d'emplois de « boulots de merde » découle de la comptabilité qui les estime comme socialement néfastes, d'où l'inclusion dans l'ouvrage et dans le sous-titre du métier de trader.

Comme je l'ai précisé, il s'agit là non d'un essai de sociologie du travail mais d'une enquête menée par deux journalistes indépendants (et passablement précaires). Elle s'organise autour d'entretiens plus ou moins longs, avec une bonne dizaine de représentants de ce qu'ils ont pressenti comme des « boulots de merde », souvent à l'encontre du ressenti de ceux-là mêmes qui s'y dédient, suivis par des approfondissements très intéressants et fort opportuns sur certains secteurs d'activité dont l'évolution est assurément critique dans ce qu'elle a de néfaste : 1. les salons des « petits boulots de merde », 2. le service civique, 3. les cireurs de souliers, 4. la distribution de prospectus, 5. les contrôles aux frontières, 6. le commerce de luxe, 7. la toyotisation des hôpitaux, 8. les gestionnaires de patrimoine, 9. la Poste. D'autres entretiens non suivi d'approfondissements, rapportés presque verbatim, et qui s'alternent aux chapitres sus-cités, concernent : « Léa, 24 ans, plante verte dans un palace parisien », « Yasmine, 30 ans, préparatrice de sandwiches dans une multinationale alimentaire », « Michel, 42 ans, enquêteur dans un institut de sondages », « Abel, 30 ans, livreur à vélo pour une 'appli' de repas à domicile », « Alain, 54 ans, ouvrier sous-traitant dans une usine de farine », « Jessica, 38 ans, responsable santé dans une usine Seveso », « Thomas, 30 ans, contrôleur dans une société d'audit financier ».

Généralement, j'adhère à l'amplitude de la définition proposée par les auteurs. J'ai apprécié la variété des secteurs analysés et des travailleurs interviewés, même si, bien entendu, dans ce genre de recherche, l'on a toujours le sentiment que d'autres professions, qui nous paraissent absolument nécessaires, ont été délaissées (pour moi, ça aurait été le cas des gardiens de prison, ainsi que des cadres d'entreprises d'État ou récemment privatisées). Le style du texte est enlevé, vivace, pétillant : la lecture en est particulièrement agréable.

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Posté: Mer 25 Juil 2018 14:35
MessageSujet du message:
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J'avais oublié ma cit.:
""Social", la précision a son importance. Depuis le temps que ce précieux adjectif se retourne comme une chaussette pour rhabiller sémantiquement les panaris de l'employeur - social, le plan qui te jette à la rue, social, le dialogue à l'issue duquel on amputera tes droits, etc. -, il était logique qu'il serve aussi de garniture à la foire aux emplois socialement les plus dégradés." (p. 39)
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