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[Madame Socrate | Gerald Messadié]
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apo



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Posté: Dim 09 Juil 2017 5:17
MessageSujet du message: [Madame Socrate | Gerald Messadié]
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[Mise en appétit et lecture grâce à l'ancienne note de l'amie Swann que je remercie vivement ici.]

Une fois quitte de l'idée que ce livre soit une biographie fictionnelle de Xanthippe – l'épouse de Socrate passée à l'histoire comme l'emblème de la mégère – ou bien un polar historique dont elle serait l'enquêtrice – argument de marketing de la quatrième de couverture, il nous reste entre les mains une très intéressante relecture de l'Histoire politique d'Athènes pendant les quarante dernières années du Ve siècle av. J-Ch., soit de l'apogée à la chute de l'époque de Périclès. Relecture moderne, ou modernisée ? – je ne saurais le dire [mais sans doute Swann pourrait-elle répondre ?] – au sens où l'on croit retrouver dans l'Antiquité les mêmes problématiques que nous vivons aujourd'hui, et qui sont peut-être juste intemporelles... : la question de la manipulation du consentement « démocratique » et de l'inconstance de l'opinion publique, celle de l'ambition régalienne liée à l'exercice du pouvoir et des conséquences néfastes qu'elle entraîne, celle des dommages provoqués par les inégalités de fortune et de genre.
En effet, de ce « siècle de Périclès », je n'avais moi-même guère plus que les réminiscences scolaires « romantiques » que l'auteur dénonce dans la postface : l'idée doucereuse que la démocratie, invention nouvelle, aurait apporté, avec davantage d'équité (une réforme agraire dont il n'est pas du tout question ici), un miraculeux essor des arts (architecture), des lettres (théâtre) et de la pensée (philosophie) et même sans doute un triomphe militaire contre Sparte, s'il n'y avait eu quelques traîtres du calibre d'Alcibiade... Et de Socrate : l'image platonicienne – aux deux sens du terme – d'un homme parfait, accompli, modèle de vertu, incompris au point d'être injustement condamné à mort. Or Messadié conteste de façon très convaincante, point par point, ces images d'Épinal : Athènes est tiraillée entre une démocratie incarnée par des gouvernants pas du tout démocrates et l'oligarchie appuyée par l'étranger, les inégalités sont criantes et la justice très inique, la guerre use et abîme le moral et les mœurs, la Cité, complètement imbibée de superstitions, persécute les philosophes pour impiété et dénie à tous la liberté d'expression, Périclès est imbu de sa personne, Alcibiade et Critias sont de fieffés salauds, Xanthippe une femme intelligente qui, à l'instar des deux autres personnages féminins principaux – Lethô et Aspasie – chacune à sa façon, est une féministe militante : les trois contestent par leur comportement le rôle qui leur est socialement assigné ; enfin Socrate ? Oui, Socrate... l'homme probe mais pantin de sa passion amoureuse pour Alcibiade – et quoi de pire pour un philosophe ? le pédagogue déçu d'avoir failli avec quasiment tous ses disciples ? las de la cité ingrate à laquelle il a tant donné ou bien peut-être ennemi de la démocratie, toujours entouré d'aristocrates et dans le fond incapable de se libérer de l'héritage de la « kalokagathia », il considérait peut-être le pouvoir du peuple (à moins que ce ne fût le propre de Platon) au mieux comme un idéal réalisable dans un avenir lointain, au pire comme une chimère dangereuse ; bref : quelqu'un dont l'action en justice aurait été tout à fait justifiée et la peine capitale, soit une forme de suicide non assumé, soit même une punition bien méritée pour s'être trop compromis avec des politiques franchement peu recommandables.
Ce dernier point constitue ma plus grande frustration dans ce livre. Si le texte se termine par la très belle ouverture que représente le dialogue imaginaire entre Diogène et Platon, c'est-à-dire par un juste questionnement sur la postérité de Socrate, le problème de son procès et de sa peine est trop vite survolé, et je trouve paradoxal que, en présence sans doute de sources textuelles relativement plus abondantes, l'auteur n'en rende pas compte de façon plus analytique, ni ne s'exprime davantage sur ce qui permettrait un bilan du personnage.

Cit. :

Incipit : « Toutes les femmes sont belles. Du moins à un moment ou l'autre de leur vie, et plus ou moins longtemps. L'attachement que la beauté leur témoigne dépend de celui qu'elles lui portent. »

« Avant de s'endormir, il se demanda confusément si les seules formes de rapports entre deux êtres humains n'étaient pas les mots, les coups et le sperme. » (p. 201)

« Il avait jadis fondu ensemble Athènes, Alcibiade et la philosophie dans un même rêve de beauté. C'était au temps de Périclès. En près d'un tiers de siècle, tout s'était délité. Athènes était, en fin de compte, une masse d'humains inconstants, oscillant entre la démocratie et l'oligarchie, Alcibiade un cabot, et la philosophie n'avait pas plus à voir avec la réalité qu'une fleur de rave avec le terreau. » (p. 312)

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Auteur    Message
Swann




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Posté: Dim 09 Juil 2017 9:12
MessageSujet du message:
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« apo » a écrit:
Relecture moderne, ou modernisée ? – je ne saurais le dire [mais sans doute Swann pourrait-elle répondre ?] – au sens où l'on croit retrouver dans l'Antiquité les mêmes problématiques que nous vivons aujourd'hui, et qui sont peut-être juste intemporelles... : la question de la manipulation du consentement « démocratique » et de l'inconstance de l'opinion publique, celle de l'ambition régalienne liée à l'exercice du pouvoir et des conséquences néfastes qu'elle entraîne, celle des dommages provoqués par les inégalités de fortune et de genre.

Je pense que l'approche est indiscutablement modernisée, on frôle le cross-over. Mais l'énumération des maux universels que tu fais est bien celle dont souffrait l'Athènes du Vème siècle, à ma modeste connaissance.
« apo » a écrit:
En effet, de ce « siècle de Périclès », je n'avais moi-même guère plus que les réminiscences scolaires « romantiques » que l'auteur dénonce dans la postface : l'idée doucereuse que la démocratie, invention nouvelle, aurait apporté, avec davantage d'équité (une réforme agraire dont il n'est pas du tout question ici), un miraculeux essor des arts (architecture), des lettres (théâtre) et de la pensée (philosophie) et même sans doute un triomphe militaire contre Sparte, s'il n'y avait eu quelques traîtres du calibre d'Alcibiade...

Ce qui m'a rapidement étonnée, c'est de voir à quel point cette démocratie (dont n'importe quel élève de Seconde te récitera les imperfections) a peu duré, à quel point les Grecs en ont tourné la page, et combien ils furent peu à écrire, dans les siècles suivants, pour la regretter. Je pense que la démocratie comme terreau de tous les essors n'est probablement qu'une construction idéologique dont nous avons présentement besoin mais qu'on saura cesser d'enseigner le cas échéant...
Citation:
Et de Socrate : l'image platonicienne – aux deux sens du terme – d'un homme parfait, accompli, modèle de vertu, incompris au point d'être injustement condamné à mort. Or Messadié conteste de façon très convaincante, point par point, ces images d'Épinal (...) : l'homme probe mais pantin de sa passion amoureuse pour Alcibiade – et quoi de pire pour un philosophe ? le pédagogue déçu d'avoir failli avec quasiment tous ses disciples ? las de la cité ingrate à laquelle il a tant donné ou bien peut-être ennemi de la démocratie, toujours entouré d'aristocrates et dans le fond incapable de se libérer de l'héritage de la « kalokagathia », il considérait peut-être le pouvoir du peuple (à moins que ce ne fût le propre de Platon) au mieux comme un idéal réalisable dans un avenir lointain, au pire comme une chimère dangereuse ; bref : quelqu'un dont l'action en justice aurait été tout à fait justifiée et la peine capitale, soit une forme de suicide non assumé, soit même une punition bien méritée pour s'être trop compromis avec des politiques franchement peu recommandables.
Ce dernier point constitue ma plus grande frustration dans ce livre. Si le texte se termine par la très belle ouverture que représente le dialogue imaginaire entre Diogène et Platon, c'est-à-dire par un juste questionnement sur la postérité de Socrate, le problème de son procès et de sa peine est trop vite survolé, et je trouve paradoxal que, en présence sans doute de sources textuelles relativement plus abondantes, l'auteur n'en rende pas compte de façon plus analytique, ni ne s'exprime davantage sur ce qui permettrait un bilan du personnage.

Je suis moi-même restée un peu perplexe sur ce que Messadié a fait de Socrate. Je pense, pour répondre à tes regrets sur son procès, que c'est justement la surabondance des sources (encore que tout soit relatif : il y a quand même plus d'exégèse que de sources directes) a dû dissuader le romancier d'écrire une "resucée" augmentée.
Avec le recul, je pense que cette histoire de "démon" a mis Socrate dans le pétrin, et qu'il aurait gagné à être plus discret à ce sujet, et surtout, à ne pas prendre son inculpation avec autant d'arrogance. Il a vraiment sous-estimé la capacité à nuire de l'assemblée et je pense qu'il les a aussi punis (toujours l'arrogance) par là où ils l'attendaient : ils étaient tellement persuadés qu'il s'enfuirait pendant le délai entre la condamnation et l'exécution qu'ils ont cru pouvoir condamner "symboliquement" Socrate à mort et que ça se transforme dans les faits en bannissement. La dernière leçon de notre philosophe fait un lien entre le logos et l'ergon, décidément.
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apo



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Posté: Dim 09 Juil 2017 16:05
MessageSujet du message:
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Merci pour toutes ces précisions.
De celles qui concernent en particulier le procès de Socrate, je crois comprendre que tu es sur la même ligne que Messadié : reconnaissance d'une bonne dose de pulsion suicidaire et jugement (moderne) qui penche davantage vers la punition méritée (ne serait-ce que pour l'arrogance) que vers l'injustice...
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Swann




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Posté: Dim 09 Juil 2017 22:55
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« apo » a écrit:
reconnaissance d'une bonne dose de pulsion suicidaire et jugement (moderne) qui penche davantage vers la punition méritée (ne serait-ce que pour l'arrogance) que vers l'injustice...

J'ai dû mal m'exprimer.
La thèse romanesque de la pulsion suicidaire de Messadié m'intéresse mais ce n'est qu'une thèse, que je n'ai d'ailleurs jamais lue ailleurs.
La "punition méritée", non, j'espère n'avoir pas été si ridicule ! La peine de mort pour punir l'arrogance, en quoi donc serait-ce moderne ?
J'ai toujours lu et entendu dire que les jurés avaient été indisposés par la première attitude de Socrate pendant son procès, qui refusait de prendre au sérieux l'inculpation et avait proposé tout d'abord une peine de substitution à la mort dont il savait parfaitement qu'elle était inacceptable ; mais quand il a vu comme c'était pris (mal), il a vite battu en retraite (voilà la thèse de la "pulsion suicidaire" mise à mal) et accepté que ses amis lui donnent de l'argent pour payer une amende colossale comme peine substitutive. Et il s'est battu pour prouver que les accusations n'avaient aucun fondement.
Malheureusement, on sait le peu de résultat de cette lutte.
http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/criton.htm
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Auteur    Message
apo



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Posté: Lun 10 Juil 2017 20:12
MessageSujet du message:
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Ah d'accord. Je comprends mieux.

L'hypothèse suicide est effectivement mise à mal. Peut-être retiendrons-nous juste un refus de l'exil pour cause de lassitude (et d'âge).

En ce qui concerne la modernité, c'est sans doute moi qui me suis mal exprimé : ce que l'entends par moderne, c'est un jugement de Socrate qui ne soit pas (ou pas principalement) apologétique par opposition à celui qu'émettent les prémodernes sur ses jurés. En d'autre termes, c'est d'accepter que les accusations aient eu un fondement, même s'il est plus que probables que derrière la motivation d'impiété, qui semble avoir été un lieu commun pour ruiner un philosophe, c'était le personnage lui-même qui était visé. Et dans ce cas nous pouvons peut-être retenir certaines raisons évoquées par Messadié : 1. ses amours et amitiés, 2. sa pédagogie, 3. sa compromission politique (en tant que conseiller et également en tant qu'élu). L'arrogance envers les jurés serait une cause supplémentaire qui n'est contradictoire avec aucune des précédentes...

Merci pour le lien vers les textes.
A 15 ans j'ai eu un merveilleux prof de philo, et grâce à l'ascendant qu'il exerçait sur moi, j'ai lu plusieurs dialogues de Platon, notamment L'Apologie, qui est courte et facile à lire. Mais le calcul est vite fait : c'était il y a 30 ans Crying or Very sad
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