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[Averroès l'inquiétant | Jean-Baptiste Brenet]
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Posté: Mar 21 Mar 2017 18:44
MessageSujet du message: [Averroès l'inquiétant | Jean-Baptiste Brenet]
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« Averroès angoisse la latinité. Il l'inquiète étrangement, comme une réalité ancienne et familière, mais recouverte, qui se relève, s'entête pour reparaître. Cela signifie qu'il n'est pas son dehors, un opposite inconnu, l'adversaire ou le barbare aux frontières. L'islam qui recule et qu'on contient est une fausse image ; la guerre et la géographie ici ne disent rien. Serrons l'histoire et le sens des textes, les flux, l'unité de la pensée vivante, et Ibn Rušd, latinisé, toute la scolastique dont la modernité procède le lit et d'une certaine manière le "comprend". Quand elle a lieu, par conséquent, son exclusion n'est pas le rejet d'une altérité d'intrusion, elle se fait du dedans. Averroès repoussé est pour l'Europe comme, chez Freud, le refoulé pour le moi : "une terre étrangère interne". » (Incipit de la conclusion)

In principio erat Aristoteles, avec, dans son De l'âme, un système complexe de l'intellect d'où la scolastique distinguera entre homo cogitans et homo intelligens ; dont Descartes héritera sa fameuse maxime. De ce même philosophe, en plein XIIe s., Averroès le Cordouan tire son traité : L'intelligence et la pensée. Grand Commentaire du De Anima, livre III, où il affirme que l'intellect est unique, commun à l'espèce humaine, éternel, inengendré, incorruptible, partagé : ergo, pour les adversaire latins, « la ruine de la rationalité personnelle, qu'une formule, tel un contre-slogan exorbitant, venait résumer : "L'homme ne pense pas." [… 'ça' est : "un cogitatur global"] » (p. 10).
À partir de 1270, du De unitate intellectus de Thomas d'Aquin, ou peut-être même un peu avant, innombrables sont les penseurs occidentaux qui « exècre[nt] l'opinion d'Averroès plus que le diable ». Et pourtant... elle refait surface sans cesse, et tous les malentendus qui l'entourent font preuve de refoulements, de détournements, de mésintelligences suspects. Jusqu'à ce que, au plus profond de la pensée de Freud – et non de Jung, comme on aurait pu le penser – apparaisse un concept, celui de Unheimliche, traduit en français « inquiétante étrangeté », qui vient expliquer ce que l'averroïsme est à la philosophie occidentale, au double titre du système monopsychiste par rapport au rationalisme ainsi que de l'altérité des deux philosophies l'une pour l'autre.
De nombreuses facettes de cette relation, à travers les siècles ainsi que par différents éléments hétéroclites – poétiques, métaphoriques, narratifs (contes), et naturellement philosophiques « purs » – sont explorées au cours de ces pages très juteuses, très éclairantes (des éclairs de l'éclair), bien que souvent d'accès ardu.
La familiarisation avec le concept psychanalytique constitue la première étape de l'ascension. (Chapitres 2-4). Ensuite, il apparaît qu'il est d'abord question d'un œil arraché... ou d'yeux aveuglés, comme dans un tableau du XVIe s. trouvé à Syracuse et représentant « La Disputa di San Tommaso d'Aquino » (ch. 5). Et pourtant, il y a de l'averroïsme lyrique dans le Stil novo, en particulier dans le plus célèbre poème de Guido Cavalcanti, « Donna me prega » (ch. 6). Écho poétique contemporain : « Être mur » de Mahmut Darwich, sur le problème de la « forme » et de l' « obiectum » (ch. 7). Première irruption de la chose psychique : parentés supposées entre averroïsme et démonologie, à partir du traité d'un philosophe padouan du XVIe s., tel Jacopo Zabarella, intitulé Liber de mente humana (ch. 8). Deuxième incursion : le problème du double : « Deux sujets, deux hommes » ; le problème s'étend de Pierre Auriol et Grégoire de Rimini (XIVe s.) jusqu'à la suggestive pensée de Jacques Lacan : « il ne s'agit pas de savoir si je parle de moi de façon conforme à ce que je suis, mais si, quand j'en parle, je suis le même que celui dont je parle. » (cit. p. 84) (ch. 9). Le miroir et la perception : un montage complexe à deux hommes, deux faces du miroir, surface aquatique réfléchissante, et tripartition entre chose sentie, œil, imagination : « Miroir déformé » (ch. 10). « Un pour tous. Confusion des êtres. » : phénomènes de télépathie, et surtout psychologie des foules à laquelle Freud consacra un essai en 1921 (ch. 11). « Moi, Dieu. La toute-puissance des pensées » : la névrose obsessionnelle dont l'un des symptômes est l'idée mégalomaniaque qui voit dans sa pensée une cause agissante, ou son avatar, la crainte du « mauvais œil ». Mais il y avait, dans la théologie latine, et chez l'Aquinate lui-même, une problématique concernant la possibilité de la vision béatifique de Dieu (ch. 12). « La pensée, la répétition, la mort » (ch. 13) : là encore, des symétries avec des concepts freudiens, à savoir la « compulsion de répétition » et la « pulsion de mort », qui, dans la lecture qu'Averroès fait de la Physique I d'Aristote, reviennent à la dialectique entre « forme » et « matière ».
Je doute d'avoir compris grand-chose à cette lecture. Mais le peu fut déjà illuminant et jouissif.

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