Nous pouvons présenter « Le rapport de Brodeck » comme l’anti-thèse du roman « Les bienveillantes » de Jonathan Littell : pas de noms de lieux, de personnages existants, de chiffres, de héros torturé mais un petit village sans nom ni localisation précise, des hommes comme les autres, une histoire à hauteur d’hommes, lui conférant par là une authenticité et une puissance rare.
« Le rapport de Brodeck » est avant tout l’histoire de Brodeck, survivant d’un camp de la mort qui revient dans son village après la fin des combats, au plus grand étonnement des villageois qui avaient déjà gravé son nom sur l’édifice du village commémorant les victimes de la guerre. Il nous livrera son histoire, celle où il fut une victime parmi tant d’autres mais également l’histoire de cet étranger, l’Anderer, l’autre, qui deviendra une victime supplémentaire de l’après-guerre, après être venu s’installer dans le village pour mourir assassiné quelque temps plus tard par les villageois. Une sentence impitoyable pour avoir oser leur tendre un miroir dans lequel ils n’avaient aucune envie de se reconnaître. Pour se dédouaner, ils demanderont à Brodeck, qui a comme métier la rédaction de rapports pour l’administration, d’écrire un compte-rendu des événements qui ont conduit à cet acte auquel il n’a pas participé.
Ce sujet, déjà pas banal en soi, sert de canevas pour aborder notre humanité dans ce qu’elle comporte de plus sombre et de plus effrayant : la lâcheté des hommes, la peur, la recherche du bouc émissaire, la délation, la trahison, la cupidité, la haine, la violence, le mépris, l’humiliation… un voyage difficile qui nous remue au plus profond de nous.
Un grand roman d’un grand auteur. Un roman qui fait peur aussi : quel est ce bourreau qui se tapit en moi ?
Extrait du roman :
« Ne me demandez pas son nom, on ne l'a jamais su. Très vite les gens l'ont appelé avec des expressions inventées de toutes pièces dans le dialecte et que je traduis: Vollaugä - Yeux pleins - en raison de son regard qui lui sortait un peu du visage; De Murmelnër - Le Murmurant - car il parlait très peu et toujours d'une petite voix qu'on aurait dit un souffle; Mondlich - Lunaire - à cause de son air d'être chez nous tout en n'y étant pas; Gekamdörhin - Celui qui est venu de là-bas. Mais pour moi, il a toujours été De Anderer - L'Autre -, peut-être parce qu'en plus d'arriver de nulle part, il était différent, et cela, je connaissais bien: parfois même, je dois l'avouer, j'avais l'impression que lui, c'était un peu moi. »
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